À la suite du scandale des écoutes téléphoniques qui secoue l'empire médiatique de Rupert Murdoch et qui a mené à la fermeture du quotidien News of the World, votre confiance envers les journaux a-t-elle été minée? Croyez-vous que cette méthode illégale pour récolter de l'information pourrait être utilisée par des médias canadiens?

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Jean-Claude Hébert

Avocat

NOUS NE SOMMES PAS À L'ABRI

L'interception de conversations faites à l'aide de téléphone cellulaires est une opération technique simple et facilement accessible à qui que ce soit. Au Canada, la loi est ainsi faite qu'un journaliste qui, sciemment, utilise (et s'y référant explicitement) des conversations privées captées illégalement commet lui-même une infraction. À n'en point douter, il s'agit là d'une mesure qui incite à la prudence journalistique. Cela dit, il est de commune renommée que certains journalistes se retrouvent occasionnellement en possession de conversations illégalement recueillies. Ce matériel de provenance illicite peut fort bien avoir été communiqué à des journalistes de façon anonyme par des personnes inconnues. Rien n'exclut une fuite bien calculée dans le cadre d'une enquête policière. Quoi qu'il en soit, rien n'empêche un journaliste de s'inspirer du contenu de ces conversations pour mener son enquête et poser des questions aux personnes concernées. Les médias sociaux sont parfois utilisés anonymement pour diffuser le contenu d'une conversation privée. Ce geste est illégal, mais pratiquement impossible à prouver. Au final, au Canada, nous ne sommes pas à l'abri de ces méthodes illégales de cueillette d'informations privées. Au contraire, certaines révélations de conversations privées étalées sur YouTube font voir que la curiosité médiatique n'a pas de frontière.

Gaétan Frigon

Président exécutif de Publipage inc. et ancien président-directeur général de la Société des alcools du Québec et de Loto-Québec

TYPIQUE DU ROYAUME-UNI

Autre pays, autres moeurs. Le scandale des écoutes électroniques qui secoue l'empire médiatique de Rupert Murdoch est, à mon avis, typique du Royaume-Uni. Ce pays a, en effet, une longue histoire de journaux à sensations utilisant des méthodes illégales souvent avec la complaisance du gouvernement ou de la police qui y trouvent leur compte. On sait maintenant que l'éditrice du News of the World a rencontré le premier ministre David Cameron à 26 reprises durant une période relativement courte. En Amérique, je crois que seul les États-Unis se rapprochent un petit peu de ce qui se fait à Londres. Il y a bel et bien des histoires salées mais, d'habitude, elles ont un fond de vérité à partir de recherches approfondies, surtout s'il s'agit de personnalités politiques. D'ailleurs, aux États-Unis, Rupert Murdoch marie bien le légitime comme le Wall Street Journal avec le conservatisme à outrance comme Fox News. Au Canada, je demeure convaincu que tout journaliste qui utiliserait des méthodes illégales pour récolter de l'information se ferait prendre à plus ou moins court terme. Et une fois pris, il serait rapidement condamné, contrairement au journal News of the World qui a été en mesure de continuer ses écoutes téléphoniques illégales alors que la police était au courant depuis des années.

Mélanie Dugré

Avocate

RÉALITÉ ET UTOPIE

J'ai confiance dans les journaux. Une confiance, qui loin d'être aveugle, se veut prudente et responsable. Il appartient à chaque individu de développer un regard critique sur l'actualité et sur le traitement qu'en font les différents médias. De manière un peu chauvine, je trouve qu'il y a au Québec des journalistes chevronnés et compétents, animés d'une droiture d'esprit, dont le travail permet souvent de dénoncer l'inacceptable et de faire avancer des dossiers qui souffrent du syndrome de la lenteur bureaucratique. La culture médiatique européenne étant à mille lieux de la nôtre, j'aime croire, peut-être d'une foi utopique, qu'un scandale d'écoute électronique ne pourrait secouer le Québec. Et s'il prenait l'envie à un journaliste dévoré par l'ambition d'étirer morale et éthique professionnelles, je préfère penser que quelque part dans l'échelle hiérarchique, un drapeau rouge serait levé et le pire pourrait être évité. Mais il ne faudrait néanmoins pas se prétendre à l'abri d'un tel événement, car dans notre univers de performance où la valeur de l'humain se calcule malheureusement en accomplissements et réalisations, je redoute qu'à petits coups d'entorse à la morale, l'élastique de l'éthique finisse un jour par nous claquer au visage. Seul l'avenir saura nous le dire...

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires

À QUEL PRIX?

Selon les allégations, l'empire Murdoch aurait utilisé des moyens jugés illégaux afin de faire la une de ses journaux. Je ne crois pas que l'écoute électronique et d'autres moyens de surveillance hors la loi soient la norme au Canada. Au Québec en particulier, les quotidiens comme La Presse comptent dans leurs rangs des journalistes d'enquête sérieux et crédibles comme les Cédilot, Noël et De Pierrebourg qui font un travail remarquable en tissant un réseau de contacts digne des meilleurs thrillers d'espionnage. Je n'ai qu'à penser à l'excellent livre Mafia Inc. qui révèle le parcours de la mafia montréalaise qui est basé uniquement sur des témoignages de divers acteurs du monde interlope, de policiers et de politiciens. Certains journaux, sans doutes obsédés par la une qui vend et par la facilité et les économies de temps et d'argent, pourraient être tentés d'utiliser les mêmes moyens qui sont attribués au News of the World. Mais à quel prix? Le jeu n'en vaut vraisemblablement pas la chandelle. La crédibilité des divers intervenants d'un journal est, selon moi, le meilleur vendeur. Je persiste à croire que la grande majorité de nos quotidiens font preuve d'intégrité et d'honnêteté, tout en respectant leur lectorat. Après tout, quel média voudrait connaître la même fin que le journal de Rupert Murdoch?

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec

IMMORAL ET HONTEUX

On ne peut nier que l'écoute électronique pratiquée par le News of the World pour obtenir de l'information privilégiée, tant sur les situations que sur certains citoyens, est foncièrement immorale. L'éthique de bas étage pratiquée par ce quotidien, qui n'hésitait aucunement à soudoyer les hauts gradés des différents corps policiers, est inacceptable. Rupert Murdoch a joué gros et là, il risque de tout perdre. C'est bien beau de vouloir tout contrôler, mais encore faut-il pouvoir le faire en respectant un minimum de fair-play, ce qu'était incapable de réaliser le quotidien News of the World. La compétition étant devenue trop forte, le quotidien s'est rabattu sur la tricherie. C'est honteux! Cet événement ne doit pas ébranler notre confiance envers les médias écrits. Des pommes pourries, on en trouve toujours. Par ailleurs, on conçoit aisément avec ce qui s'est passé que le monopole médiatique n'a pas bonne presse, c'est le cas de le dire, et qu'il faudra prendre les moyens nécessaires pour éviter que cela ne se reproduise. Je doute que les médias canadiens pratiquent cette forme de journalisme, où la tricherie règne en maître. Chaque quotidien développe son créneau et sa vision, pour transmettre la nouvelle, et travaille dans un environnement compétitif et sain, où l'éthique est une valeur considérée.

Pierre Simard

Professeur à l'École nationale d'administration publique à Québec

RESSERRER LES RÈGLES ÉTHIQUES

News of the World, le plus vendu des journaux dominicaux de Grande-Bretagne, est mort. Ce journal qui a violé pendant de nombreuses années la vie privée des célébrités, des politiciens, des victimes de crime, et ce, sous l'oeil complaisant des forces policières, a dû fermer ses portes. La raison? Les pressions populaires et le désengagement de ses principaux commanditaires à la suite des révélations des dernières semaines. Ce scandale montre que certains journalistes et entreprises de presse sont prêts à employer n'importe quelle méthode pour créer la «une». Il illustre aussi la différence entre les journalistes qui se croient tout permis en prétextant le droit du public à l'information, et ceux qui croient encore au droit à la vie privée des citoyens. L'heureuse nouvelle, c'est que dorénavant, les entreprises de presse y penseront à deux fois avant de faire passer leur intérêt avant ceux des individus. Dans un monde où chacun est friand de savoir ce que les autres mangent pour le petit-déjeuner et avec qui ils roucoulent, les journaux du monde devront resserrer leurs règles éthiques au risque d'y perdre leur crédibilité ou même de devoir fermer leurs portes. Je ne sais pas ce que le dissident russe Alexandre Soljenitsyne dirait à Rupert Murdoch, lui qui disait que «notre liberté se bâtit sur ce qu'autrui ignore de nos existences».

Léo Bureau-Blouin

Président de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ)

CLARIFIER LES RÈGLES D'ÉTHIQUE

Tout d'abord, il est légitime de se rappeler quel est le rôle des médias au XXIe siècle. Le Conseil de presse du Québec définit ce rôle comme «rechercher, collecter, traiter, commenter et diffuser, sans entrave, l'information d'intérêt public nécessaire à l'existence et au maintien de la vie démocratique». Il s'agit d'un rôle essentiel qui doit être protégé par la liberté de presse. Or, cette liberté n'est pas sans limites. Dans le cas du News of the World, l'intérêt public ne légitimait aucunement les violations flagrantes de la vie privée. Ce journal s'est égaré des règles d'éthique fondamentale et de sa mission pour mousser ses ventes. Il faut donc être critique, sans pour autant retirer notre confiance envers tous les médias à la suite de ce scandale isolé, car le problème n'est pas les médias ou leur rôle, mais bien la notion élastique que certains ont de l'éthique. Le Québec n'est pas à l'abri de ces scandales, car ici aussi, la pression pour augmenter les ventes est forte. C'est pourquoi il faut clarifier les règles d'éthique journalistique et surtout s'assurer de leur mise en application. Donner des dents au Conseil de presse du Québec permettrait d'éviter les dérapages et de préserver la confiance du public.