Le parlement doit se prononcer cette semaine sur le prolongement, pour trois mois, de la participation canadienne aux bombardements sur la Libye, visant à protéger les civils libyens et à chasser du pouvoir le colonel Mouammar Kadhafi. Le Canada devrait-il continuer d'appuyer l'OTAN dans cette mission, ou se retirer? Croyez-vous légitime pour les alliés de vouloir chasser Kadhafi? Pensez-vous qu'ils y parviendront?

LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS. MAXIMUM DE 150 MOTS.

Jocelyn Coulon

Directeur, Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix

UNE ACTION JUSTIFIÉE

La présente intervention de l'OTAN en Libye n'est pas dépourvue d'ambiguïtés. Il est devenu très évident, par exemple, que les attaques ciblées de l'Alliance atlantique contre le colonel Kadhafi dépassent le mandat voté par l'ONU. Ce mandat, faut-il le rappeler, autorise l'OTAN à utiliser tous les moyens nécessaires afin de protéger les civils libyens contre les exactions de l'armée libyenne. En même temps, du point de vue militaire, pour protéger les civils, il faut non seulement frapper les soldats qui les attaquent, mais aussi les commandants qui autorisent ces attaques. Le colonel Kadhafi devient par conséquent une cible légitime. Tout est dans la manière. Cela dit, l'action de l'OTAN en Libye se justifie toujours, et le Canada doit maintenir sa participation pour les trois prochains mois. Certains trouveront que cette intervention traîne en longueur et qu'elle risque d'échouer. Ce n'est pas mon sentiment. En 1999, il a fallu trois mois de bombardements contre le régime serbe afin de forcer Slobodan Milosevic à cesser ses attaques au Kosovo. Deux ans plus tard, il était capturé et déféré devant la Cour pénale internationale. Avec un peu de patience, le même sort attend Kadhafi.

Jocelyn Coulon

Philippe Faucher

Professeur au département de science politique et chercheur associé au Centre d'études et recherches internationales de l'Université de Montréal

LA PARTICIPATION CANADIENNE EST IMPORTANTE

Les raisons pour lesquelles les pays de l'OTAN souhaitent la poursuite des opérations militaires en Libye sont multiples. Prévenir les massacres, éviter la partition du pays, assurer l'accès aux hydrocarbures, et débarrasser le pays de la dictature quadragénaire du colonel Kadhafi en font partie. Les États-Unis, l'Angleterre et la France mènent le jeu au nom de l'OTAN. Le Canada et 16 autres pays participent à l'intervention. Après trois mois, les ressources manquent, plusieurs pays ont atteint la limite de leur capacité d'engagement (voir l'éditorial du journal Le Monde de samedi). C'est pourquoi la poursuite de la participation canadienne est importante. L'objectif prioritaire qui consistait à éviter un massacre à Benghazi a été atteint en quelques bombardements par les avions de l'OTAN en mars dernier. Depuis, la situation piétine et il est désormais admis que la «responsabilité de protéger» les populations civiles exige le départ de Kadhafi. Cette issue demeure incertaine. Le Canada ne peut pas cautionner qu'une mission pour fins humanitaires se transforme en guerre aux relents coloniaux. Toute décision de prolonger notre participation devra être assortie d'un échéancier, d'objectifs qui nous soient propres et d'exigences à l'endroit de nos alliés.

Guillaume Lavoie

Directeur exécutif, Mission Leadership Québec et membre de l'Observatoire sur les États-Unis de la chaire Raoul-Dandurand

RESPECTER NOS ENGAGEMENTS AUPRÈS DE NOS ALLIÉS... ET DE LA POPULATION LIBYENNE

Jusqu'à sa participation en Afghanistan, le Canada avait acquis la réputation du convive qui quitte la table juste avant que n'arrive la facture. D'un pays qui prétend vouloir jouer un rôle de leadership à l'international, mais qui refuse d'assumer les conséquences de ses engagements. Après s'être engagé auprès de ses alliés - et de la population libyenne! - comment le Canada pourrait-il renoncer en cours de route, sans risquer de perdre sa crédibilité retrouvée au sein de l'Alliance? Le point faible de cette mission, avalisée par une résolution de l'ONU, n'est pas sa légitimité, mais l'ambiguïté de ses objectifs. Le mandat de protection des civils sans explicitement le mandat de chasser Kadhafi est une contradiction qui risque l'enlisement. En somme, il n'y a pas de coalition trop faible. Il n'y a que des mandats trop flous. Finalement, pourquoi chasser Kadhafi alors que bien d'autres dictateurs gouvernent tranquilles ailleurs? Intervenir en Libye signifierait intervenir partout? Cela est souhaitable, mais peu réaliste. Mais ne pas intervenir ailleurs n'est pas un argument pour ne pas intervenir en Libye, lorsque l'urgence et les conditions nécessaires sont au rendez-vous.

Marc Simard

Professeur d'histoire au Collège François-Xavier-Garneau (Québec)

UN PRINTEMPS ARABE?

Les médias occidentaux ont bien imprudemment rassemblé sous le vocable de «Printemps arabe» les événements qui se sont déroulés dans une demi-douzaine de pays en cette première moitié de l'année 2011. En effet, à part la concordance temporelle et le fait que ces mouvements visaient tous le renversement de dictatures, on peut les classer en trois catégories distinctes: des soulèvements de la rue contre des dictateurs népotistes et corrompus, comme ceux qui ont vu le renversement de Ben Ali en Tunisie et du clan Moubarak en Égypte; la révolte de majorités confessionnelles contre l'accaparement du pouvoir par une minorité: les chiites (soutenus par l'Iran) contre l'hégémonie sunnite au Bahreïn et les sunnites contre la tyrannie alaouite en Syrie; et enfin, les insurrections tribales comme celle qui cherche à renverser le dictateur Saleh au Yémen et celle des tribus de la Cyrénaïque contre le clan des Kadhafa (originaire de la Tripolitaine), qui monopolise le pouvoir en Libye depuis 1969. Il va de soi que les Occidentaux doivent soutenir la quête de démocratie et de liberté qui a émergé en Tunisie et en Égypte malgré ses limites et les dangers de dérive islamiste. La situation est toutefois beaucoup plus complexe en ce qui concerne les affrontements confessionnels. Malgré la férocité de ces dictatures (celle des al-Assad en particulier), leur renversement risque de provoquer des bouleversements religieux et régionaux majeurs, aux conséquences imprévisibles. Quant à l'intervention en Libye, on peut en comprendre la motivation originelle, celle d'éviter un bain de sang qui était imminent à cause de la disproportion des forces militaires. Il est toutefois loin d'être certain que les frappes de l'OTAN suffiront pour jeter Kadhafi à bas de son trône, bien que son départ soit souhaitable pour plusieurs raisons. Et il est impensable de dépêcher des troupes au sol. Peut-être serait-il préférable d'inciter fermement les deux clans à négocier un accord de partition de la Libye, possiblement la seule solution vraiment garante de paix et de stabilité.

Mélanie Dugré

Avocate

PATIENCE ET PERSÉVÉRANCE

Les questions portant sur les interventions militaires du Canada à l'étranger me rendent souvent inconfortable et me laissent perplexe. L'opinion publique sur ces sujets est modulée à même le traitement médiatique offert, lequel est tributaire des rapports officiels que publie l'armée et des récits qu'en font les quelques journalistes dépêchés dans les zones de combat. La distance, la subtilité de la politique étrangère et la complexité de la mission haussent le coefficient de difficulté de l'individu moyen qui souhaite se faire une opinion libre et éclairée sur ce sujet. Afin de déterminer l'efficacité, l'utilité et la pertinence de l'intervention actuelle, un certain nombre de questions m'apparaissent néanmoins nécessaires: quels pas ont été franchis depuis le début de la mission? Les militaires réussissent-ils à protéger la population et à lui prêter une assistance concrète et salutaire? Kadhafi montre-t-il des signes de repli? Trois mois supplémentaires pourraient-ils faire toute la différence? Quant à savoir si les troupes réussiront à chasser Kadhafi, je pense qu'il faut le souhaiter ardemment compte tenu des ravages causés au peuple libyen coincé sous son joug. Mais quand on pense à l'entêtement de Saddam Hussein et à la longue et éreintante traque contre Oussama Ben Laden, on ne peut que souhaiter patience et persévérance aux alliés.

Mathieu Bock-Côté

Chargé de cours en sociologie à l'UQAM

PRÉFÉRER LA PRUDENCE À L'IDÉAL

Raymond Aron le rappelait: la politique n'est pas la morale. Et la politique étrangère l'est encore moins. Elle répond à des calculs qui se dérobent à l'idéalisme humanitaire. Les motifs qui la conduisent ne sont jamais vraiment confessés intégralement. Heureusement, car la transparence radicale est antipolitique. Elle empêche l'exercice du mal nécessaire au bien commun, qui n'est jamais le bien céleste. La figure politique par excellence n'est pas le saint, mais le héros. Le premier se délivre du monde et se réclame de la pureté morale, le deuxième en assume les contradictions tragiques et sait les hommes méchants. Conséquemment, la logique du politique n'est pas celle du plus grand bien, mais du moindre mal. Cette réflexion initiale éclaire l'exemple libyen. Évidemment, Kadhafi est un dictateur sanguinaire et grotesque. L'intervention des alliés pour protéger les civils était justifiée et doit être poursuivie. Doit-elle aller jusqu'au changement de régime? Le changement de régime est une politique hasardeuse, qui relève d'une forme d'idéalisme naïf, d'autant plus que la Libye n'a pas la consistance historique d'un État appelé à s'autoréguler après l'éventuel renversement de son dictateur. Si renversement de régime il y a, il faudrait éviter d'en faire un élément de jurisprudence du droit international. L'idée d'une police mondialisée au service d'une gouvernance globale distinguant les bons et les mauvais régimes est détestable et grosse d'une dérive autoritaire pouvant conduire à la guerre permanente. Si la souveraineté nationale n'est pas un absolu, elle doit demeurer un principe ferme dans l'organisation de l'ordre du monde.

Steven Blaney

Ministre des Anciens combattants

FIER DE SON ENGAGEMENT

Le Canada est fier de son engagement à l'égard de la liberté, de la démocratie, des droits de la personne et de la primauté du droit. Depuis le début de son mandat en Libye, le Canada travaille de concert avec ses alliés de l'OTAN pour protéger la population civile en Libye contre le régime Kadhafi. Demain, le Parlement tiendra un débat au sujet de la prolongation de la mission de nos Forces armées en Libye. La motion parlementaire demandera la prolongation de la mission militaire actuelle en Libye pendant trois mois et demi de plus, soit jusqu'à la fin du mois de septembre 2011. Afin que le Parlement dispose de l'information nécessaire pour débattre correctement de la prolongation de la mission, le ministère de la Défense nationale a estimé le coût de l'Opération MOBILE jusqu'au 2 juin à 26 millions de dollars. Une prolongation de la mission jusqu'à la fin du mois de septembre 2011 fera passer le coût de la mission à environ 60 millions de dollars. Notre gouvernement entend débattre de cette question à la Chambre des communes. Il s'agit d'un débat important sur une mission importante qui consiste à protéger la vie des civils contre les actions violentes et mortelles du régime Kadhafi.

Hélène Laverdière

Porte-parole du Nouveau Parti démocratique, coopération internationale

POUR UNE ACTION CONCERTÉE

L'aspect le plus inquiétant de la situation actuelle en Libye demeure l'acharnement du colonel Kadhafi à s'attaquer à ses propres citoyens. C'est précisément cette violence du gouvernement libyen qui a mené au mandat des Nations unies encadrant l'intervention internationale: la communauté internationale a compris qu'il fallait rapidement en venir à un cessez-le-feu et protéger les populations civiles. Au Nouveau Parti démocratique, nous appuyons ce mandat onusien, mais nous voulons également éviter que la mission prenne une tournure différente et outrepasse les paramètres actuels. De plus, nous croyons que la situation actuelle en Libye requiert une action concertée qui va au-delà de l'intervention militaire. Premièrement, il faut appuyer les efforts visant à mieux répondre à la crise humanitaire, particulièrement à la frontière avec la Tunisie. Or, à peine la moitié seulement des demandes des Nations unies en termes d'aide humanitaire ont trouvé preneur. Le gouvernement canadien se doit d'en faire davantage. En second lieu, il faut soutenir les efforts internationaux pour s'attaquer à l'utilisation du viol comme arme de guerre. Finalement, il faut augmenter les efforts diplomatiques dans le but de protéger les populations et en venir à un cessez-le-feu.

Frédéric Mayer

Doctorant en administration des relations internationales à l'ÉNAP

IMPOSER LE LEADERSHIP DU CANADA PAR LA FORCE

À la suite de l'élection d'un gouvernement conservateur majoritaire, la question est quelque peu inutile. Peu importe l'opinion de l'opposition, la position de ce gouvernement sur son mandat en Afghanistan nous donne une bonne idée de ses valeurs au plan militaire: imposer le leadership canadien par la force. Alors que la réputation du Canada de meilleur partenaire en négociation n'en finit plus de s'effriter, ce gouvernement plongera assurément la tête première dans une prolongation de cette mission qui s'éternise. Maintenant qu'il n'est plus invité aux tables des négociations, comme ce fut le cas à Copenhague en décembre 2009, et qu'il a été écarté du Conseil de sécurité de l'ONU, le Canada n'a plus grand-chose à perdre à poursuivre les frappes contre le gouvernement Kadhafi. De toute manière, les quelques bribes de soft power qui pouvaient lui rester n'auraient pas été suffisantes pour se proposer comme intermédiaire entre les belligérants libyens. Puisque le Canada s'est déjà engagé auprès de ses partenaires de l'OTAN, il doit poursuivre. Toutefois, le Canada n'a jamais eu autant d'influence dans le monde qu'à l'époque où il se proposait comme intermédiaire dans les négociations avant de s'engager militairement. Cette époque est malheureusement depuis longtemps révolue.