Plusieurs sondages récents laissent entendre que les conservateurs auraient des chances de décrocher un gouvernement majoritaire aux prochaines élections fédérales, même s'ils ne faisaient pas élire un nombre significatif de députés au Québec. Croyez-vous à cette possibilité? Le Québec aurait-il beaucoup à perdre si ce scénario devait se réaliser?

(NDLR: Des représentants des cinq grands partis fédéraux ont été invités à répondre.)

LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS. MAXIMUM DE 150 MOTS S.V.P.

Richard Vigneault

Consultant en communication et membre de l'Idée fédérale.

LE PARADOXE QUÉBÉCOIS

Si M. Harper devait trouver sa majorité hors Québec, il est clair que cette situation serait préjudiciable au Québec à moins que le gouvernement du Québec renforce son influence. Ce préjudice serait toutefois attribuable non pas aux conservateurs, mais aux libéraux d'Ignatieff qui n'arrivent pas à circonscrire les enjeux qui intéressent les Canadiens et les Québécois et n'y arriveront malheureusement pas sous le leadership actuel. Le manque de charisme de M. Ignatieff laisse les Canadiens froids. Lorsqu'on a présenté une opposition faible, il y a peu de chances de former un gouvernement fort. Il n'y a pas de vent de changement sauf revirement imprévisible. Enfin, les Québécois s'extirpent eux-mêmes du pouvoir à Ottawa en votant massivement pour le Bloc québécois qui professe la séparation du Québec! Paradoxe! Dans le scénario d'une élection fédérale, la perception est à l'effet que les électeurs québécois se rendront aux urnes sans enthousiasme et le taux de participation subira un nouveau recul. On peut le déplorer, d'autant plus que plusieurs peuples dans le monde se battent pour obtenir une démocratie, mouvements encouragés par nos élus. Paradoxe bis! Enfin, je ne suis pas persuadé que Canadiens et Québécois aient une si mauvaise opinion du gouvernement Harper.

Denis Saint-Martin

Professeur de science politique à l'Université de Montréal

AUCUN EFFET SUR LES TRANSFERTS

Il est fort possible que les conservateurs se retrouvent encore une fois avec très peu de députés au Québec. Ceci n'est pas très grave si le PLC garde l'Ontario, car le PC ne serait toujours qu'un parti de l'ouest et l'axe historique de pouvoir Québec-Ontario au sein de la fédération demeurerait politiquement inchangé. Si cet axe était affecté par une montée du PC en Ontario, le Bloc québécois jouerait alors beaucoup plus fortement la carte de l'indépendance justifiée par l'isolation politique croissante du Québec au Canada. Tant et aussi longtemps que les libéraux demeurent le premier parti fédéraliste au Québec et en Ontario, l'espoir d'un retour au gouvernement les incite à garder une main tendue vers le Bloc afin d'aller chercher une partie de son vote. Ceci diminue donc, pour un moment, les tensions concernant l'unité nationale, qui risquent de devenir très fortes avec l'élection probable du PQ dans deux ans. Quant à la part du gâteau du Québec avec un gouvernement Harper sans siège dans la province, l'histoire montre que ceci n'a aucun effet tangible sur les transferts et les dépenses.

Robert Asselin

Directeur associé de l'École supérieure d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa.

PAS DE MAJORITÉ SANS LE QUÉBEC

Ah, les fameux sondages! Il est malheureux que les médias et les commentateurs leur accordent tant d'importance.  Sur quoi nous informent-ils au juste, sinon que de nous donner une lecture incomplète et superficielle d'une conjoncture donnée? Les sondages ne prédisaient-ils pas une cuisante défaite du jeune sénateur Barack Obama face à Hillary Clinton, et ensuite face à John McCain? Ne nous avaient-ils pas prévenus au déclenchement des élections fédérales en 1993 que Jean Chrétien était loin derrière Kim Campbell? Comment se fait-il que Jean Charest ait réussi à remporter trois élections, lui que les sondages malmènent de façon constante depuis 2003? Malgré ce qu'on en dit, les campagnes électorales importent (Campaigns matter, diront les anglophones). Chaque parti fera valoir ses arguments, mettra en valeur ses priorités et les Canadiens décideront. La politique n'est pas statique. Il n'y a aucun précédent dans l'histoire canadienne où un parti politique a été majoritaire sans un appui minimal au Québec. Et la raison n'est pas seulement mathématique: les Canadiens du reste du pays ont toujours été conscients des conséquences d'un tel geste. Si les Québécois rejettent massivement le Parti conservateur, il est fort à parier qu'il n'atteindra pas une majorité.

Jean-Herman Guay

Professeur de sciences politiques à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke

LE DILEMME DES QUÉBÉCOIS

Les valeurs et les thématiques privilégiées par les conservateurs les distancient des Québécois. Alors que ce parti est à droite, les Québécois campent au centre-gauche, du moins au plan de la culture politique majoritaire. Cependant, les conservateurs sont plus décentralisateurs, plus provincialistes. Traditionnellement, les libéraux ont été les constructeurs d'un État fédéral fort, puissant, qui n'hésite pas à empiéter sur les compétences provinciales. C'est l'héritage trudeauiste que Jean Chrétien a repris. À l'inverse, les conservateurs, notamment parce qu'ils sont de droite, ne cherchent pas à multiplier les interventions étatiques fédérales. Le gouvernement Harper a ainsi libéré de l'espace fiscal en réduisant la TPS de deux points. Dans le passé, le gouvernement Mulroney a, bien que vainement, tenté de réconcilier les Québécois avec Meech. C'est avec ces promesses d'ouverture que les Québécois ont voté pour les conservateurs en 1984 et 1988. Et c'est grâce à des promesses moindres, mais analogues, qu'ils ont accordé une dizaine de sièges aux conservateurs en 2006 et 2008.  Qu'en sera-t-il pour l'avenir? Trop tôt pour le dire. En politique, le passé est rarement garant de l'avenir : Harper est plus à droite que Mulroney. De plus, il ne propose pas une réouverture de la constitution. Dans ce contexte, on comprend pourquoi le Bloc reste hégémonique, malgré son caractère strictement tribunitien.

Mario Laframboise

Organisateur en chef du Bloc québécois et whip adjoint du Bloc québécois

SEUL LE BLOC PEUT EMPÊCHER UNE MAJORITÉ

L'élection d'un gouvernement conservateur majoritaire constitue un risque que les Québécois ne peuvent pas prendre à la légère. Fraudes et contournements des lois se sont multipliés depuis son élection. Pensons seulement à la ministre Oda, qui a falsifié des documents et menti à la Chambre, au ministre Kenney, qui a financé des activités partisanes à même les fonds publics, ou aux fraudes électorales auxquelles le Parti conservateur s'est livré en 2006 pour s'assurer le pouvoir. Et pas une fois les conservateurs de Stephen Harper ont admis leurs torts et leur responsabilité. On a vécu les obsessions idéologiques et le manque de transparence de Stephen Harper sous un gouvernement minoritaire. Imaginons-le maintenant avec une majorité! Nous ne voulons pas de ça pour le Québec. Au Québec, le seul parti capable de barrer la route aux conservateurs en faisant élire une majorité de députés, le seul parti en mesure d'empêcher Stephen Harper d'avoir le chemin libre en obtenant un gouvernement majoritaire, c'est le Bloc québécois. Nous parlons, nous nous tenons debout afin que les besoins, les intérêts et les valeurs des Québécois soient entendus à Ottawa.

Maxime Bernier

Député conservateur de Beauce

PAS UN JEU D'ÉCHECS

Les sondages fluctuent d'une semaine à l'autre. Divers scénarios restent possibles et je crois qu'il est inutile de spéculer ou de se demander si le Québec aurait «à perdre» ou «à gagner» d'un résultat ou d'un autre. Cette façon d'analyser la politique est fondée sur l'idée que le Québec est une sorte de gros lobby avec des positions et des intérêts spécifiques, et que chaque électeur devrait voter de façon stratégique pour maximiser l'influence de ce lobby au sein du gouvernement qui sera élu, compte tenu du résultat attendu dans le reste du pays. La politique n'est pas un jeu d'échecs. Elle devrait être le forum où l'on débat d'idées, de principes, de solutions spécifiques à des problèmes précis. L'enjeu important est plutôt celui-ci: lequel des partis en présence est le plus susceptible de protéger nos libertés individuelles, de contrôler les dépenses publiques, de garantir la croissance économique et la prospérité, de respecter la Constitution? Les Québécois devraient se poser ce type de questions et faire leur croix à l'endroit qui correspond le mieux à leurs valeurs, que les sondages laissent présager l'un ou l'autre des scénarios quant à la formation d'un gouvernement.

Thomas Mulcair

Député du NPD dans Outremont

UNE MAJORITÉ ILLUSOIRE

Si Stephen Harper donne priorité à la tenue d'une élection au lieu d'aider les familles, les gens en jugeront aux urnes. De notre côté, la décision que prendront Jack Layton et le caucus du NPD sera basée sur le contenu du budget, et non pas sur des considérations purement partisanes. Le NPD veut aider les familles, notamment en rétablissant le programme de rénovation écoÉNERGIE et en aidant nos aînés grâce à une augmentation du Supplément de revenu garanti. C'est le genre de solutions pratiques et pragmatiques que le NPD veut voir dans le budget. Cependant, il est intéressant de constater que les partis qui veulent faire une campagne de peur contre une illusoire majorité des conservateurs, soit le Bloc québécois et le Parti libéral, sont les mêmes qui ont donné tour à tour une majorité de facto à Stephen Harper en appuyant les budgets conservateurs! D'ailleurs, si ces partis craignent tant cette majorité que les électeurs ont refusée et refusent toujours de donner à Stephen Harper, ils peuvent appuyer ce gouvernement minoritaire encore une fois et ne rien «risquer». Quant à nous, nous misons sur la volonté des gens de voter pour leurs idées plutôt que contre une chimère.

Elizabeth May

Chef du Parti vert du Canada

UN SCÉNARIO IRRÉALISTE

Je ne crois pas que le scénario d'un gouvernement majoritaire soit réaliste. J'ai au contraire confiance que les Québécois ne laisseront pas se concrétiser la menace d'un gouvernement conservateur majoritaire. Ils démontreront leur leadership sur le plan national et leur volonté de changer le climat du Parlement. Le Québec a énormément à perdre, autant que le reste de la population canadienne d'ailleurs, à élire un gouvernement majoritaire conservateur. Nos protections et nos programmes en matière d'environnement - solidement appuyés par la population québécoise - souffriraient encore plus qu'ils ne l'ont déjà fait. L'érosion progressive et constante de notre démocratie signifie que les électeurs auraient de moins en moins de pouvoir sur leur propre gouvernement. Le gaspillage de l'argent des contribuables par notre gouvernement pour soutenir les industries d'extraction des ressources et l'énergie sale, tout en négligeant les industries vertes et les sources d'énergie renouvelable du 21e siècle, dans lesquelles les États-Unis et l'Europe ont investi massivement, signifie que notre économie serait peu à peu distancée par les autres nations. Le Canada continuerait à perdre le respect des autres nations. Le Québec demeure la province la plus insatisfaite du Canada devant les politiques néfastes des conservateurs sur le plan national et international. Par conséquent, le Québec a tout à gagner d'élire des députés verts pour engager tout le pays dans la voie d'un changement de cap.