Il fallait s'y attendre, la politique étrangère canadienne est largement absente de la présente campagne électorale. Pourtant, le Canada est engagé dans une quatrième guerre en moins de dix ans et sur deux théâtres simultanés. Et la guerre en Libye risque d'engager le Canada dans un conflit aussi long et difficile que celui en Afghanistan.

Tous les partis politiques fédéraux ont applaudi l'engagement militaire canadien, sur la base d'une obligation morale d'intervenir. Or l'idée de «responsabilité de protéger» n'implique pas uniquement le devoir de prévenir les violations massives des droits de la personne, mais également celui de reconstruire le pays ravagé par la guerre et de l'accompagner vers une paix durable. Il incombe donc au Canada, après ses frappes aériennes, d'assurer la transition politique, économique et sociale en Libye vers la paix, processus qui ne peut s'effectuer dans le court terme et à peu de frais pour les contribuables canadiens.

Le gouvernement Harper a promis de tenir un débat au parlement après trois mois d'engagement militaire. Les plateformes électorales des partis de l'opposition amènent cependant à penser qu'ils appuieront le prolongement de la mission canadienne. Les libéraux souhaitent que la doctrine de la responsabilité de protéger «fasse l'objet d'une plus grande adhésion» et qu'elle soit élargie, citant spécialement le cas libyen. Quant aux Bloc québécois, il appuie également cette doctrine, citant le cas du Kosovo où, justement, la communauté internationale - dont le Canada - est toujours présente, 12 ans après les bombardements aériens, afin d'assurer la transition vers une paix durable.

Le risque d'enlisement, auquel font référence plusieurs au sein de la coalition, est ainsi tangible pour le Canada. D'abord, le désengagement militaire partiel des États-Unis augmente le fardeau des alliés, dont celui du pays au cinquième rang des plus importants contributeurs à la mission, le Canada. Autant Paris, Londres qu'Ottawa ont d'ailleurs récemment accru leurs forces militaires déployées dans le conflit.

Ensuite, le fait que ce soit un général canadien qui dirige l'opération de l'OTAN augmente nécessairement la responsabilité du pays à maintenir son engagement militaire substantiel. C'est précisément cette contribution militaire de premier plan qui a permis au Canada d'obtenir ce poste de commandement.

Le risque d'enlisement tient également à l'issue incertaine de cette guerre humanitaire préventive. Au moins quatre options s'offrent à la coalition de volontaires. Premièrement, l'accroissement de moyens aériens. Alors que le chef militaire des rebelles libyens réclame l'envoi d'hélicoptères de combat, le New York Times propose que les États-Unis déploient des avions capables de neutraliser les blindés et l'artillerie des forces de Kadhafi. Mais si seuls les États-Unis possèdent de tels appareils, l'administration Obama souhaite plutôt réduire sa présence militaire en Libye et juge que la puissance aérienne pourrait difficilement sceller, à elle seule, l'issue de cette guerre.

Seconde option: le déploiement de troupes clandestines et/ou privées afin d'armer et d'entraîner les forces rebelles. Or la possibilité que les forces rebelles, même armées et encadrées, puisse renverser le régime de Kadhafi est jugée peu probable par les états-majors alliés, qui craignent d'ailleurs d'armer, au passage, des membres d'Al-Qaïda.

La troisième option est encore plus risquée: elle consiste au déploiement de troupes au sol par les forces occidentales. Rejetée d'emblée par toutes les capitales, elle entraînerait assurément un enlisement à long terme du Canada dans le pays.

Enfin, reste une solution négociée qui inclurait le départ du colonel Kadhafi ainsi qu'un cessez-le-feu. La Turquie et l'Union africaine travaillent actuellement en ce sens. Si, pour une raison ou une autre, le régime libyen se pliait réellement à un cessez-le-feu, la mise en place de celui-ci impliquerait nécessairement des troupes au sol, vraisemblablement de la part d'États de la région, appuyés par la coalition.

Qu'importe l'issue de la guerre en Libye, il semble donc que le Canada sera appelé à y rester engagé longtemps, que ce soit sur le plan militaire, civil ou humanitaire. Du moins, la doctrine qui justifie la quatrième guerre du Canada en 10 ans en réclame autant.

L'auteur est professeur adjoint à l'École supérieure d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa et chercheur associé à la Chaire de recherche du Canada en politiques étrangère et de défense canadiennes de l'UQAM.