Il y a tant de bruit dans le climat actuel du débat sur le voile islamique, la burqa et le niqab.

Le bruit ne vient pas du fait que le débat soit inutile ou vain, ou que d'autres sujets soient plus pressants.

Au contraire, le débat est important et amorcé avant son temps, vaut mieux qu'après.

Le bruit, je l'entends et le ressens, jour après jour, lorsque des propos grotesques sont formulées soit à l'endroit des femmes musulmanes tout autant que des hommes, lorsque tout à coup, ton nom devient original quand il ne s'appelle pas Tremblay ou Gagnon, lorsque les juifs orthodoxes d'Outremont sont appelés les extrémistes religieux, lorsque le concept de pur laine québécois est confronté au concept du citoyen d'une autre origine, appelé l'immigrant, même s'il y est citoyen depuis un siècle!

Ô combien de bruit, tout autant plus harassant, que celui d'avoir vu un jour de l'année 2001, à la télévision, de nos propres yeux, l'image d'une figure de couleur bleue, celle d'une femme, portant une burqa, accroupie, seule, devant une foule anxieuse de son sort, dans un stade de Kaboul, sur le point d'être exécutée de quelques balles dans la tête. Cette femme se nommait Zarmeena et elle avait été exécutée, non pas en 2001, mais en 2000. N'eut était-ce du courage des femmes afghanes au sein de l'organisation RAWA, le monde entier n'aurait jamais eu vent de la brutalité envers leurs femmes et de la tragédie plus globale de la société afghane. La Dr Anne Brodsky, dans son unique livre With all of our Strenght dresse un portrait empathique et essentiel pour comprendre le combat que mènent des dizaines de milliers de femmes afghanes et pakistanaises sous leur burqa, accompagnées d'autant d'hommes complices, qui rêvent à un pays laïque, démocratique, qui respecte de dignité humaine et qui enchâsserait l'égalité des hommes et des femmes dans la constitution de leur pays.

Ces images fortes continuent de renvoyer à des émotions douloureuses qui soulèvent, une profonde douleur et d'indignation.

À ce moment, nombreux sont ceux et celles, qui, comme moi, avions cru, que la communauté internationale déclarerait cette obligation de porter la burqa comme une atteinte à la dignité humaine et un crime contre l'humanité.

Peut-on en vouloir aux populations en Occident d'associer la pratique du port de la burqa à autre chose que la négation de la dignité humaine ?

Peut-on en vouloir à l'Occident de se porter garant de cette obligation morale, que celle d'assurer la dignité des femmes, qui dans les faits assure aussi la dignité de tous les êtres humains, homme comme femme ?

Peut-on en vouloir à l'Occident d'aller dans la même veine que les leaders du monde musulman, lesquels, depuis des siècles, ont tour à tour déclaré le port de la burqa ou du niqab comme une atteinte à la dignité humaine ?

L'histoire est riche de ces hommes et de ces femmes en terre musulmane qui au cours des siècles ont mené le même combat.

De l'Afghanistan à la Turquie, en passant par le Maroc et l'Algérie, il suffit de consulter les livres d'histoire pour se convaincre que la préservation de la dignité humaine n'a pas de frontières géographiques, ni religieuses.

Souhaits d'amour

Mais voici qu'à l'approche de la fête pascale, le désir de formuler des souhaits d'amour se fait tout autant plus pressant que celui de partager des idées sur ce même sujet.

Je me remémore donc, ce dimanche de Pâques, où j'ai choisi d'arborer un voile sur la tête à la messe ainsi qu'au dîner familial qui a suivi dans un restaurant de Montréal. Ce geste a surpris ma famille, mais j'étais résolue à exprimer mon amour pour une amie, ma meilleure amie, qui dans les mois qui allaient suivre, quittait pour son pays natal, retrouver ses enfants que la loi islamique lui refusait la garde partagée.

Dans les jours précédant, nous avions ensemble magasiné les plus beaux carrés de soie, lesquels, elle allait porter non pas sur les épaules mais comme hijab. C'est dans une boutique du Complexe Desjardins, chez des commerçantes sépharades qu'elle a déniché ces bijoux de foulards. Partie régler ses problèmes conjugaux, elle revenait une ou deux fois par année. Chez moi, elle retrouvait bien gardés, son attirail, consistant en une robe légère de coton blanc pur, ainsi que son petit tapis pour faire la prière.

Car, avec ou sans hijab, elle pratiquait sa religion et connaissait tous les versets du saint Coran. Ensemble, nous ne magasinions pas seulement les carrés de soie, mais aussi pour ses robes longues et la lingerie féminine, comme le font la majorité des femmes dans le monde entier.

Si on s'était fiées seulement à nos signes visibles de nos différences, jamais nous n'aurions fait un pas l'une vers l'autre. Elle, portait une robe longue aux manches aussi longues et au foulard bien serré sur sa tête. De mon côté, je portais une tenue d'été étendue sous un arbre, mon fils jouant nu, complètement nu dans la pataugeuse.

Cette femme était d'une beauté statuesque, affirmée et résolue. Elle se promenait ici et là, seule avec ses deux enfants du même âge que les miens. Depuis ce moment, nous avons bâti une amitié profonde. Ensemble, nous avons fêté la Pâques tout comme Noël, le Eid el Fitr et le Ramadan.

Nous avions des discussions animées et ouvertes sur les fondements du foulard islamique et sur toutes les vraies et fausses prescriptions religieuses. Elle reconnaissait que le saint Coran n'obligeait aucunement les femmes musulmanes à le porter, mais que de siècle en siècle, la tradition avait maintes fois évolué ou régressé. Nous reconnaissions toutes les deux que la politique et les mouvements nationalistes à travers les siècles, et notamment, dès les relents dans les pays arabes contre le colonialisme et pour l'affirmation des identités nationales en terres musulmanes, le port du hijab par les femmes était devenu l'instrument privilégié de cette affirmation identitaire.

Toutes ces discussions se faisaient dans le respect de nos points de vue et de notre héritage spécifique.

Lorsqu'un jour, ma fille de 13 ans, fréquentant le Collège Marie-de-France, est revenue à la maison avec une proposition de faire le jeune du Ramadan pour accompagner son amie marocaine, j'ai quelque peu sourcillé, mais l'ai toutefois laissé expérimenter ce désir de partage. Je supposais que sa spiritualité ne pouvait qu'en être augmentée et enrichie.

Qu'il en soit de ma fille ou de mon fils, quittant la synagogue après une commémoration d'une Bar-mitsvah, une Kippa sur la tête et le sachant bien heureux, je me conforte en sentant bien que les lendemains seront pour eux, faits d'expériences riches en rencontres.

Dès lors, que nous nous saisissons du privilège d'expérimenter avec l'Autre, cet Autre, n'est plus une menace à notre affirmation intellectuelle ou spirituelle, ni une menace à nos convictions, nos questionnements ou nos doutes.