Le premier ministre Charest soutient que les journalistes n'ont rien à craindre de l'enquête à venir visant à déterminer l'origine de la fuite sur l'existence d'une taupe au SPVM. On peut en douter sérieusement! Mais il n'y a pas que les journalistes qui devraient s'inquiéter. C'est tout le public qui doit craindre cette investigation prétendument « apolitique » diligentée par le ministre de la Sécurité publique. Elle soulève de sérieuses questions sur la liberté de presse en démocratie et sur les dangers qu'encourt une société à ne pas assurer la protection des sources journalistiques. Car on aurait tort de croire qu'il s'agit là de corporatisme journalistique ou d'un caprice de journaliste.        

La liberté d'expression, rappelons-le, va dans les deux sens : il s'agit de la liberté de diffuser mais aussi celle de recevoir de l'information.

Ces dernières années, le journalisme d'enquête a mis à jour une série de scandales, tant  au Québec qu'au Canada. Toute la société a bénéficié de l'information recueillie et diffusée et nous n'avons collectivement pas intérêt à ce que les sources journalistiques ayant permis de mettre à jour ces histoires de fraude, de collusion et de favoritisme se tarissent.

Comment les journalistes ont-ils procédé pour leurs enquêtes? Qui les informe? C'est cela qu'il ne faut pas savoir. Si la police peut utiliser les journalistes pour mener ses propres enquêtes, si elle peut forcer la divulgation des noms de leurs informateurs, qui osera encore parler aux journalistes?

Et que la source ait eu ou non le droit de divulguer l'information n'y change rien ; la protection des sources ne peut dépendre de la licéité de l'indiscrétion. Comme le souligne la Cour européenne des droits dans Goodwin c. Royaume-Uni (27 mars 1996) : « La protection des sources journalistiques est l'une des pierres angulaires de la liberté de la presse (...). L'absence d'une telle protection pourrait dissuader les sources  journalistiques d'aider la presse à informer le public sur des questions d'intérêt général. En conséquence, la presse pourrait être moins à même de jouer son rôle indispensable de « chien de garde » et son aptitude à fournir des informations précises et fiables pourrait s'en trouver amoindrie (...)

L'enjeu autour de la protection des sources journalistiques dépasse largement les seuls  journalistes; c'est la démocratie qui est en cause et elle dépend largement du droit du public d'être informé sans interférence politique ni  policière.