Au XIX siècle, Tocqueville affirmait que la démocratie tend vers la concentration du pouvoir. Le partage du pouvoir entre différents niveaux est un remède à cette concentration, remède dont découle l'autonomie municipale.

Au XIX siècle, Tocqueville affirmait que la démocratie tend vers la concentration du pouvoir. Le partage du pouvoir entre différents niveaux est un remède à cette concentration, remède dont découle l'autonomie municipale.

Pourtant, il y a 10 ans, l'État québécois décidait de fusionner, sans le consentement populaire, des municipalités en utilisant un pouvoir jamais employé auparavant. Depuis ce jour, légalement, l'État peut, pour n'importe quelles raisons, comme en 2000, supprimer tous les gouvernements municipaux et les remplacer par des fonctionnaires qu'il nommerait. Jadis, Louis XIV en avait fait de même quant il supprima l'autonomie municipale et mit en place des intendants sous son contrôle.

Vieille de plus de 2300 ans, l'autonomie municipale ou «droit de cité», voit le jour dans la république romaine, progresse dans l'empire, surtout sous le règne de Domitien, et connait un déclin par la centralisation du pouvoir à la fin de l'empire. Par le tissu social ainsi créé, cette institution permettra de «romaniser» les différentes conquêtes faites par Rome. Englobée dans la chrétienté pendant plus de sept siècles, elle ressurgit durant la révolution papale, et devient un pouvoir. Le gouvernement municipal, institution d'origine occidentale, fut alors un des remparts contre la montée de l'absolutisme dans toute l'Europe. Au Bas-Canada, c'est après la constitution de 1791, à la suite des demandes libérales des Canadiens, que le régime municipal fut enfin concédé.

Par la loi 124, en 2000, la ministre des Affaires municipales, Louise Harel, recevait le plein pouvoir d'exiger des municipalités ciblées par ses fonctionnaires qu'elles lui présente des projets de regroupement. À défaut, la ministre pouvait décréter la constitution d'une nouvelle municipalité. Sur 90 regroupements effectués, 31 décrets obligeant le regroupement seront émis et à force de persuasion, la majorité signera les exigences de fusion.  Cependant, quelques municipalités refuseront dont Saint-Luc de Matane.

La ville de Matane avait de gros problèmes: poursuites, démission de directeurs...  Québec et Matane veulent regrouper cinq municipalités en périphérie. Deux d'entre elles réussiront à s'en exclure par l'opposition farouche de leurs maires, deux autres signeront l'entente de regroupement.  Seul Saint-Luc s'y opposera fortement. C'est cette communauté qui donnera le plus de fil à retordre à Mme Harel. Produit typique d'un village agricole et forestier fondé au XIXe siècle par la colonisation, Saint-Luc est situé à 6 km au sud de Matane. Il n'est pas le résultat de l'étalement urbain.  C'est une des causes de la forte opposition de la communauté à la fusion.  La ministre, le député et la ville exigent le regroupement, la communauté s'y  oppose.

À l'été 2001, des rencontres non officielles, demandées par la ministre, ont lieu entre les quatre maires, dont celui de Saint-Luc, et le conciliateur. Les maires s'entendent pour la fusion. Le conciliateur recommande alors de faire entériner l'entente par leurs conseils respectifs, mais les élus refusent de le faire alléguant que ça pourrait faire tomber les accords déjà signés.

Mobilisée, la communauté de Saint-Luc est prête. Mme Harel le sait. Une occasion en or lui en est offerte: l'attaque des tours jumelles. Quel bon moment pour passer des décrets. Le lendemain, le décret passe sous silence, Saint-Luc n'existe plus.

Aujourd'hui, il ne faut pas être surpris de constater que les municipalités au Québec, n'ont plus les pouvoirs qu'ils avaient autrefois. Ceux-ci s'effritent lentement. L'intuition de Tocqueville se confirme.

Maintenant, ce village a perdu son dynamisme. Plus aucune décision n'est prise par la communauté.  Sans institution municipale, le lien social s'affaiblit, plus aucune fierté civique n'est affichée. Contraste frappant avec ce qui était auparavant.