Hier en entrevue, Philippe Couillard disait que si François Legault et Jean-François Lisée pouvaient faire des engagements électoraux totalisant 2,5 ou 2,7 milliards, c'était grâce au redressement des finances publiques que son parti avait... j'allais dire « opéré », disons plutôt réalisé.

Et d'ajouter, comme en passant : « Québec solidaire, c'est autre chose... » Autrement dit : eux, ça ne compte pas vraiment, leurs promesses sont par définition fantaisistes, on garroche les millions par-ci, on rend tout gratis, on nationalise à gogo... Ça ne vaut même pas la peine d'en parler.

Au même moment un peu plus loin à Montréal, Jean-François Lisée expliquait son étrange début de débat de la veille. Les journalistes ne demandent pas de comptes à Québec solidaire, tout est trop facile pour eux, disait-il.

C'est pas mêlant, à écouter M. Lisée, les gens de QS ne font pas campagne en autocar, mais à dos de licorne.

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Est-ce que vraiment Manon Massé et Gabriel Nadeau-Dubois ont une « partie gratuite », comme le dit le chef du Parti québécois ?

Oui et non.

C'est un peu vrai, parce que, comme tout parti n'ayant jamais connu l'art difficile et douteux de gouverner, ils sont sans tache. Québec solidaire ne traîne aucune casserole. Mieux encore : il ne sera pas au pouvoir le 2 octobre. 

Québec solidaire n'a ni le poids du passé ni la lourdeur des responsabilités à venir. Il se promène en apesanteur dans la campagne, plein de solutions agréables.

Les partis de pouvoir se plaignaient aussi de cette sorte de bienveillance médiatique au sujet du NPD, du temps de Jack Layton, ou du Bloc québécois.

Dans les présentes élections, on devine que François Legault est secrètement d'accord avec le chef du PQ. Le chef de la CAQ a l'air d'un concurrent au quiz Qui veut être premier ministre et se dit sûrement qu'on ne pose pas beaucoup de questions pièges aux « co-porte-parole » de Québec solidaire. Mais comme Philippe Couillard, il se gardera bien de le dire. C'est au PQ que QS enlève des voix, pas à eux. QS est un allié objectif de ces deux partis.

Bref, il y a un peu de vrai dans cette perception selon laquelle « ils l'ont trop facile ». Mais juste un peu.

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Il n'y avait rien de facile et de gagné d'avance à coaliser les groupes et groupuscules de la gauche radicale pour former un parti ayant l'ambition de faire élire des députés. Ç'a été fait.

Il n'y avait rien de facile non plus à s'installer à l'Assemblée nationale comme un législateur sérieux. Amir Khadir n'a jamais eu l'élégance et la nuance de Françoise David, mais il a été un critique efficace et nécessaire des gouvernements.

Il n'en a pas moins reçu plus que sa part d'insultes et de moqueries. Voulez-vous parler de Manon Massé et des blagues sur sa pilosité ?

Quand des délégués dans un congrès de Québec solidaire ont proposé de bannir le mot « patrimoine », trop masculin, pour lui substituer « héritage culturel », de partout dans les médias on en a fait des gorges chaudes. Personne, pourtant, à la tête du parti, n'a suggéré d'employer le mot « matrimoine », mais le gag perdure néanmoins depuis. Chaque parti a ses ultras, ultra-fédéralistes au PLQ, ultra-capitalistes à la CAQ, ultra-nationalistes au PQ... QS a ses ultras... féministes, socialistes et même, oui, madame, des communistes.

Coup de fil d'un souverainiste influent hier : saviez-vous que les membres du Parti communiste sont d'office membres de QS ?

Non, je ne savais pas. Vérification faite, ce n'est pas vrai. Ce qui ne veut pas dire que ces rares personnes n'aient pas deux cartes.

Vous voyez un peu l'atmosphère : on laisse entendre que le parti serait en fait infiltré par des extrémistes. Qu'il y a une sorte de projet caché, de sombres visées dissimulées derrière le sourire lénifiant de Manon Massé et le joli minois de GND. C'est un peu ce que suggérait M. Lisée au Face-à-Face de TVA : qui est le chef, Mme Massé ? Hein ? Qui est le vrai chef !

La loi oblige les partis à désigner un chef. C'est un retraité de la CSN - eh non, il n'arrive pas de la Banque Royale, quelle surprise ! Il s'appelle Gaétan Châteauneuf. Et ? Et rien. La structure bicéphale de leadership de ce parti n'entre pas dans le cadre juridique actuel. QS veut des « co-porte-parole », pas un chef. Ils s'en sont expliqués mille fois, on en a rigolé dix mille fois, mais c'est déjà vieux. Ce n'est pas seulement une coquetterie, les fondateurs craignaient qu'on n'usurpe le pouvoir des militants, qu'on ne développe un culte du chef. Le parti a cependant été clair : si, par impossible, Québec solidaire prenait le pouvoir, Manon Massé serait première ministre.

Hier, certains se sont amusés à publier l'organigramme de QS sur les réseaux sociaux. Il y a des instances, des comités, toutes sortes de cases. Ben oui. Sont comme ça. Ça se consulte et ça délibère et ça rédige des programmes gros comme ça.

Mais en est-on au point de superficialité politique où la moindre apparence de complexité est louche ? N'était-ce pas la marque de commerce, que dis-je, le souffle même du Parti québécois dans ses belles années ? Une passion du débat qui rendait fous ses chefs, mais qui était un signe de vie ?

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Si l'on fait le compte des analyses économiques sévères (voir l'excellent Francis Vailles dans ce journal), des dénonciations pour cause de radicalisme, des blagues faciles, des caricatures, des insultes et des insinuations persistantes, non, Québec solidaire n'a pas vraiment eu de « partie gratuite ».

Le parti n'est pas non plus sur le point de prendre le pouvoir et de faire la révolution dans ce Québec qui est plutôt centriste, ou centre-droitiste ces jours-ci.

Il est juste en train de s'imposer comme le nouveau parti progressiste, celui qui menace le PQ à Montréal et fait gagner la CAQ à bien des endroits.

Voilà ce qui fait désordre. Pas le « vrai chef » ou le cryptocommunisme.