Au bout du fil, Dick Pound est encore interloqué par la décision « inexplicable » du Tribunal arbitral du sport (TAS).

« La preuve est claire, claire, claire de la manipulation des échantillons d'urine par les Russes à Sotchi. Écoutez : les athlètes eux-mêmes devaient fournir un échantillon d'urine propre de remplacement. Ce sont des athlètes internationaux, ils ne pouvaient pas ignorer qu'ils étaient complices d'un système de tricherie organisé. C'est une très mauvaise journée pour les athlètes propres et pour le mouvement antidopage », dit celui qui a été le président fondateur de l'Agence mondiale antidopage.

L'avocat montréalais est aussi l'auteur du premier rapport sur le dopage systémique en Russie, celui sur l'athlétisme (la Fédération russe d'athlétisme, exclue de Rio, est toujours sous le coup d'un bannissement). Il a entraîné une deuxième enquête, plus vaste, menée par l'avocat canadien Richard McLaren, qui a mis au jour le scandale de Sotchi.

Depuis, le directeur de l'agence russe, Grigory Rodchenkov, a expliqué en détail comment on avait contourné les règles avec l'aide des services secrets russes, en changeant les échantillons d'urine la nuit par un trou dans le mur au laboratoire durant les Jeux de Sotchi (voir le stupéfiant documentaire Icarus de Netflix). Rodchenkov est caché aux États-Unis depuis...

Alors, après tout ce qu'on a appris sur le dopage systémique en Russie, la décision rendue hier par le Tribunal arbitral du sport a en effet quelque chose d'ahurissant.

Le hic, c'est qu'on ne peut pas trop savoir jusqu'à quel point, vu que la décision a été rendue avec la mention « motifs à suivre ». Tout ce qu'on a entre les mains est un mince communiqué disant que la preuve n'était « pas suffisante » pour suspendre à vie 28 athlètes russes en fonction du Code antidopage.

Résultat : le TAS blanchit 28 athlètes russes, la plupart ayant participé aux Jeux de Sotchi. La Russie récupère donc 9 des 13 médailles qui lui avaient été retirées (dont celle d'or du fondeur Alexander Legkov). Le pays reprend ainsi la première place du tableau des médailles. Seules 11 suspensions ont été maintenues, mais ces athlètes ne sont suspendus que pour les Jeux de PyeongChang.

Si les motifs n'ont pas encore été publiés, c'est que la décision a été rendue en catastrophe, après une audition les 27 et 28 janvier.

Sauf que les Jeux commencent officiellement le vendredi 9 février et on ne sait pas si ces motifs seront connus avant.

Cela dit, il est loin d'être acquis qu'un seul de ces athlètes sera présent en Corée.

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Le Comité international olympique est aux prises ici avec ses propres contradictions et compromissions.

« Quand il y avait des sanctions contre l'Afrique du Sud, c'est le pays qui était puni et les athlètes ne pouvaient pas participer aux Jeux. C'est ce qu'on aurait dû faire dans ce cas », dit Dick Pound.

Au lieu de ça, le CIO a trouvé une solution de compromis. Le Comité national russe serait banni, mais pas les athlètes. En effet, explique l'avocat Patrice Brunet (membre du TAS mais n'ayant pas pris part à cette décision), ce ne sont plus les pays qui sont invités aux Jeux olympiques, ce sont les comités nationaux. Le CIO craignait qu'après les boycottages de 1980 à Moscou et de 1984 à Los Angeles, les pays communistes ne boudent les Jeux de Séoul en 1988 et voulait dépolitiser le processus, au moins sur le plan diplomatique.

Pour PyeongChang, donc, le CIO a décidé de lancer des invitations individuelles aux athlètes russes, qu'un comité réviserait. En tout, 169 athlètes russes ont été retenus, seulement six de moins qu'à Vancouver. Il y en avait 214 à Sotchi.

Comme il s'agit d'un processus d'invitation discrétionnaire et individuel, le CIO peut très bien refuser toute autre inscription. C'est du moins son intention, si l'on s'en tient aux déclarations officielles hier.

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Je disais : le CIO est devant ses propres contradictions. On verra quels sont les motifs exacts de cette décision. Mais les trois membres du TAS qui ont rendu cette décision (un Allemand, un Autrichien et un Franco-Iranien) sont liés par le Code antidopage. Ce code, adopté par le CIO, exige un certain nombre de formalités et des preuves individualisées. Dans son communiqué, le TAS dit que sa décision ne nie pas l'existence d'un système de dopage d'État. Simplement, les preuves doivent s'appliquer à des individus.

Le TAS, qu'on a voulu indépendant du CIO, doit juger en fonction des règles établies, pas en fonction des critères politiques du CIO ou de ce qui ferait son affaire.

Au final, le CIO se retrouve à devoir gérer les athlètes au cas par cas pour n'avoir pas osé bannir le pays, tout simplement, avec les risques catastrophiques que cela comportait.

Le mouvement olympique se retrouve donc avec une autre petite catastrophe et donne encore l'impression de ne pas être assez sévère dans la lutte contre le dopage. Mais en attendant les autres recours et appels, on se trompe sans doute de cible en descendant en flammes le TAS.

Faudrait plutôt revisiter les décisions du CIO et ses astuces diplomatiques.