Au départ, on croit à un canular : un adulte acquitté du viol d'une fillette de 11 ans en France parce qu'on n'a pas prouvé l'absence de consentement.

L'homme a 22 ans, il rencontre l'enfant près de chez lui et l'emmène dans un parc, où ils ont « une relation sexuelle consentie », selon l'accusé.

Mais dans une autre affaire en France plus tôt cette année, le ministère public a décidé de ne pas poursuivre pour « viol » un homme de 28 ans qui avait eu des relations sexuelles avec une fillette de 11 ans également, une pure inconnue qu'il a abordée à la sortie de son collège. Il lui a fait des compliments, lui a dit qu'il lui « apprendrait à embrasser », et finalement l'a emmenée chez lui, où ils ont eu deux « relations sexuelles ». Pourquoi n'est-il pas accusé de viol ? Parce qu'il n'a pas utilisé « la contrainte ni la violence ». Bref, il y a apparence de consentement.

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La chose paraît aberrante vue d'ici - et pour bien des Français aussi, soit dit en passant ; un appel a d'ailleurs été interjeté dans une de ces affaires.

Le Code criminel canadien fixe à 16 ans l'âge du consentement à des relations sexuelles. Sous ce seuil, une relation sexuelle avec un adulte est une agression sexuelle : tout consentement est nul - sauf les exceptions qui suivent.

L'âge du consentement était de 14 ans jusqu'à récemment, mais le gouvernement conservateur l'a repoussé à 16 ans, avec les nuances suivantes :

• 16 ans et plus : une personne peut consentir à des relations sexuelles - sauf situation d'autorité ;

• 14 et 15 ans : le consentement est valide si l'accusé n'a pas plus de cinq ans de plus ;

• 12 et 13 ans : la défense de consentement est valide si l'accusé est l'aîné de moins de deux ans.

Mais dans tous les cas, il n'y a pas de défense pour des relations sexuelles avec un enfant de 11 ans. C'est une agression sexuelle, point.

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Il ne faut pas croire pour autant que les relations sexuelles « consentantes » entre un homme de 28 ans et une fillette de 11 ans sont légales en France. L'âge du consentement est fixé à 15 ans. Dans les deux cas que je viens de citer, l'accusé a été poursuivi pour « atteinte sexuelle » sur une mineure.

La nuance n'est pas banale : la peine maximale pour viol est de 20 ans ; elle est de cinq ans pour « atteinte sexuelle ». Dans les faits, d'après les statistiques du ministère de la Justice français, la peine moyenne pour viol est autour de huit ans ; elle est d'un peu plus d'un an pour atteinte sexuelle sur un mineur.

Ce qui pose problème est la définition du « viol », un terme banni du droit canadien depuis plus de 30 ans. Pour qu'il y ait viol en droit français, il doit y avoir pénétration (de n'importe quel type) et, surtout, il faut prouver « la contrainte, la menace, la violence et la surprise ».

Ce que ça signifie, en pratique, c'est que dans un procès pour viol, une preuve doit être faite quant au consentement, quel que soit l'âge de la victime. La Cour de cassation française (en quelque sorte la Cour suprême du pays) a même écrit que la contrainte ne sera présumée que pour les enfants « en très bas âge ». Autrement, le procureur devra démontrer qu'un enfant de 8 ou 9 ans n'a pas consenti, qu'il a été « contraint » à une relation sexuelle, pour que ce soit un viol.

Les associations féministes réclament que la loi soit changée et le gouvernement actuel propose de fixer le seuil de non-consentement quelque part entre 13 et 15 ans, en créant une présomption « irréfragable » (impossible à renverser) dans le Code pénal.

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C'est pour des raisons similaires que le Canada a abandonné la notion de « viol », qui supposait une preuve supplémentaire et qui rendait les condamnations plus difficiles. On a regroupé toute une série de crimes sous un seul vocable : agression sexuelle. Et selon la gravité des gestes, la peine sera plus ou moins lourde.

Autre élément qui peut faire problème, c'est l'utilisation des mots « contrainte » et « violence ». Ils laissent supposer qu'à moins de preuve à ce sujet, une agression sexuelle sur une enfant de 11 ans n'est pas en soi violente, ou le fruit de la contrainte. Des juges canadiens se sont fait rabrouer par la Cour suprême ici pour avoir considéré comme facteur atténuant le fait que l'accusé n'avait pas « utilisé la violence ». L'usage de violence supplémentaire constitue un autre crime ; le fait de ne pas battre sa victime en plus de la violer n'est certainement pas un facteur atténuant, mais simplement l'absence d'un autre crime. Et à un âge où le consentement ne devrait rien valoir, l'idée qu'il faille prouver la contrainte est plutôt révoltante. L'enfant dans une des deux causes française a dit qu'elle n'avait pas bougé, tellement elle avait peur de mourir. Ça n'indique pas une absence de contrainte ou de violence...

Tous les systèmes judiciaires ont leurs problèmes et le nôtre n'est pas à l'abri des reproches. Mais pour avoir couvert un procès de pédophilie à Angers et pour suivre l'actualité judiciaire française, j'ai la nette impression qu'en matière de protection de l'enfance, la France a une sorte de mise à jour à faire.

Ça semble aussi l'avis de Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les hommes et les femmes, qui pilote cette réforme du droit pénal : « La loi ne protège pas assez les enfants. »

En effet, Madame la Ministre...