Un mot ne veut rien dire en dehors de son contexte. Parfois, «espérer» veut dire ordonner. Si vous êtes facteur et dites à votre beau-frère que vous espérez la disparition de votre voisin, c'est un simple voeu. Si vous êtes parrain de la mafia, il y a de fortes chances que votre voisin meure de mort non naturelle.

Si vous êtes le directeur du FBI et que le président des États-Unis vous dit que « bien des gens veulent votre job », ce n'est pas comme si le gars au dépanneur vous le disait. Après tout, c'est une évidence, non? Plein de gens veulent être le directeur du FBI. Sauf que le président peut nommer et dégommer le directeur du FBI.

Si le président ajoute qu'il «espère» que vous «laisserez aller» une enquête sur un de ses proches, le verbe «espérer» prend un tout autre sens.

Rappel : on est au tout début du mandat de Donald Trump comme président. Il a choisi le lieutenant-général à la retraite Michael Flynn au poste de conseiller à la sécurité nationale, qui joue un rôle névralgique à la Maison-Blanche. Flynn est soupçonné d'avoir eu des liens avec des responsables russes et, surtout, d'avoir menti à ce sujet. Le FBI enquête. Flynn démissionne rapidement.

James Comey, directeur du FBI, associé au Parti républicain, rencontre Donald Trump après son élection. Il comprend immédiatement qu'il doit documenter chacune de ses rencontres.

Pourquoi? Il y avait le contexte politique, il y avait toutes sortes de considérants... mais surtout : «Je craignais que M. Trump ne mente à ce sujet.»

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Voilà qui est assez immense comme déclaration. Le chef de la police fédérale, qui n'a jamais senti ce besoin dans ses rapports avec George W. Bush ou Barack Obama, nous dit sous serment qu'il sentait dès le départ que Trump n'était pas honnête et qu'il devait se protéger.

Un jour, donc, en février, Trump lui dit qu'il «espère» la fin de l'enquête sur l'homme qu'il a choisi comme conseiller à la sécurité nationale.

Hier, interrogé par un comité du Sénat, on lui demande comment il a interprété cette phrase. J'ai interprété ça comme une directive à suivre, a-t-il dit. J'ai pensé à Henri II...

Le sénateur aussitôt l'interrompt : c'est ce que j'allais dire!

C'est en effet un classique du droit anglo-américain. Le roi Henri II d'Angleterre, en conflit ouvert avec l'archevêque de Canterbury, Thomas Becket, aurait dit devant sa cour : «N'y aura-t-il personne pour me débarrasser de ce prêtre turbulent?»

Le lendemain, Becket fut trouvé assassiné.

Un souhait est parfois un ordre...

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Prenons un pas de recul.

Songez un peu qu'on est en train de parler d'un président champion de la loi et de l'ordre. Tous ceux des forces de l'ordre que j'ai rencontrés aux États-Unis l'automne dernier, du douanier au shérif en passant par le policier, tous ceux-là ont voté pour lui.

Songez que pour les républicains (et les Américains en général) de la génération de Trump, la Russie a été l'ennemi principal du pays depuis 70 ans.

Et voilà que le chef de la police fédérale vient dire que ce président n'est pas fiable, qu'en fait c'est un menteur (il a menti sur les raisons de son congédiement et sur la nature de leurs discussions); ce chef de police (d'allégeance républicaine) nous dit qu'on a fait pression sur lui pour abandonner une enquête criminelle; une enquête qui concernait une possible influence indue de la Russie dans la politique américaine.

Des choses pas très républicaines...

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Est-ce que Donald Trump a tenté d'entraver, de contrecarrer ou de dévier le cours de la justice? Ça en a tout l'air. Est-ce que, juridiquement, ça tiendrait en cour? Le débat fait rage entre experts des facultés de droit américaines. Les uns disent que c'est clairement une tentative de faire capoter une enquête, sous peine de faire perdre son job au directeur du FBI, à qui il demande de prêter une sorte de serment de loyauté. Les autres disent qu'espérer la fin d'une enquête au sujet d'un ami et d'un «sacré bon gars» n'est pas un crime.

Je penche pour la première thèse : c'est clairement une violation de la séparation des pouvoirs à laquelle on assiste. Mais dans ce contexte, le procureur moyen n'irait peut-être pas devant jury (une institution fondée sous Henri II, au fait) avec ce type de dossier. De toute manière, si jamais il y a un procès du président, il ne sera pas devant une cour de justice, mais devant le Congrès. Et tant que les républicains y contrôlent le jeu, donc au moins jusqu'en novembre 2018, ça n'arrivera pas.

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En attendant, James Comey a admis avoir «coulé» ses propres notes au New York Times, pour se défendre et défendre le FBI, a-t-il dit. Les républicains utilisent déjà cet aveu pour dire que Comey a manqué à son devoir. Ça paraît assez mal, en effet, même si ses conversations avec Trump n'étaient pas confidentielles. Mais Comey savait ce qu'il faisait : cette fuite a forcé la nomination d'un procureur indépendant qui pourrait, un jour, mener au procès de Trump devant le Congrès.

Les républicains mettront l'accent sur cette manoeuvre douteuse pour un directeur du FBI, pour le discréditer.

Mais sur le fond, qui dira que le chef de la police fédérale n'a pas servi l'intérêt public? Devait-il se laisser congédier pour manque de «loyauté» sans rien faire et laisser s'installer un monarque à la Maison-Blanche?

J'espère que non. Oui, comme dirait Donald Trump : j'espère...