Tout bon « road trip » américain commence par le passage de la frontière, même à Dorval.

- Et qu'est-ce que vous allez faire à Houston, au juste ?

- Je... Je m'en vais voir qui a voté pour Trump. Mon boss m'envoie faire un road trip dans Trump Nation, monsieur.

- Ah oui ? En tout cas, les gens des forces de l'ordre sont très majoritairement républicains, comme vous savez. On va se sentir un peu plus respectés, ça c'est certain. Et puis, Trump au moins n'a pas été l'objet d'une enquête du FBI...

- Pas encore, monsieur, pas encore !

Il a ri. C'est un signe, ça, un douanier américain qui rit.

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Les compactes n'étaient plus disponibles à l'aéroport de Houston, et de toute manière, un road trip au pays de Trump, ça rime avec SUV (VUS). « On a les petits ou les gros. » Ma voiture entre une fois et demie dans ce « petit ».

Première station de radio AM. Il est autour de midi. L'animateur glousse.

« Quand ils ont commencé à dire que c'étaient les hommes blancs sans éducation qui voteraient pour Trump, ces "Déplorables" comme a dit Hillary, je pense qu'ils ont provoqué une colère encore plus grande, dit l'animateur. C'est extraordinaire, ce qui est arrivé. C'est une journée historique et nous pouvons en être fiers. »

Une femme appelle. « J'ai eu tellement peur, tellement peur ces dernières semaines, pouvez-vous imaginer ce qui serait arrivé si cette femme malhonnête avait été élue ? »

- On l'a échappé belle, renchérit l'animateur. Tout ça prouve qu'il ne faut pas croire ce que les médias progressistes disent jour après jour. Quelle journée ! En passant, si vous êtes comme moi et que vous aimez les chiens et les chats, vous savez que ces membres à quatre pattes de la famille ne sont malheureusement pas avec nous pour longtemps. Heureusement, Bluebonnets s'occupe de venir chercher votre animal de compagnie quand il meurt, et vous offre différentes options de crémation, enterrement...

Suivent les coordonnées de l'entreprise.

On enchaîne avec une pub de leçons de tir pour les femmes. « N'attendez pas qu'un intrus pénètre chez vous. Venez apprendre le maniement des armes. Nous enseignons l'utilisation de sept types d'armes à feu. Notre catalogue comprend plus de 700 armes. On vous attend ! »

Voilà, à peine condensées, les 15 premières minutes de radio que j'ai entendues en roulant vers le centre-ville de Houston.

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Houston, ce n'est pas Trump Nation. Comme Dallas, Austin, San Antonio, en fait comme tous les grands centres urbains du Texas, Houston a voté démocrate. Tout le reste du Texas, sauf les régions près de la frontière du Mexique, est rouge, rouge, rouge.

On associe Houston au pétrole, et c'est évidemment le secteur dominant. Mais c'est aussi un pôle en technologie, en aérospatiale, en santé, et un centre universitaire majeur. C'est la quatrième ville en importance aux États-Unis, la plus jeune du pays, une des plus multiethniques et une des plus vibrantes.

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On n'a pas idée à quel point la haine anti-Hillary est féroce. Enfin, on le sait un peu du Québec, on le lit dans les reportages, on l'entend. Mais à ce point ? On n'a pas idée.

Quand j'arrive au bar du Grotto et que je prends place à côté de Lisa, je suis convaincu d'avoir affaire à une démocrate.

Je succombe aux préjugés sociologiques : une femme afro-américaine de 43 ans, probablement... de toute évidence démocrate !

Elle s'en est rendu compte et n'était pas contente.

« Je me suis enregistrée comme républicaine à 18 ans et toute ma famille était furieuse contre moi. J'ai voté Obama en 2008. Mais jamais je n'aurais voté pour Hillary. Jamais. Tous ces mensonges... Et les courriels, à cause d'elle des gens sont morts à Benghazi ! »

Ce n'est pas le vieil homme blanc en colère dans une maison mobile. C'est une femme noire qui a un diplôme universitaire, qui est cadre dans une compagnie d'assurances.

Et ce que Trump a fait ou pas à des femmes, c'est comme Bill Clinton avec Monica Lewinsky : ça le regarde. Vie privée.

« À moins que tu sois en train de coucher avec une femme pendant qu'il faut décider de la guerre... Je m'en fous ! »

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Le barman s'approche.

« L'homme blanc sans éducation qui a voté Trump ? C'est moi ! »

- T'es allé au collège, John, dit Lisa.

- Oui, mais j'ai pas fini.

Un client crie : « Ah ! c'est toi, la statistique ! T'es une statistique ! »

Ils rient.

« C'est une menteuse pathologique, attends, je vais te montrer un truc qu'un ami m'a envoyé. »

Il fouille dans son iPhone. Il me montre un « meme » d'Hillary Clinton à 27 ans, soi-disant congédiée comme jeune avocate travaillant pour l'équipe qui a fait destituer le président Nixon. Une citation d'un avocat l'ayant soit-disant congédiée et déclarée malhonnête accompagne la photo. L'affaire circule depuis des années sur l'internet.

Le Washington Post et d'autres ont démontré que l'allégation est non fondée. Mais ça circule encore et encore.

- Ça vient d'où, ça, John ?

- D'un ami.

- Non, mais la source ?

- La source ? Je sais pas. Mais c'est vrai.

- Et Trump, c'est pas un menteur ?

- Oui, mais c'est avec son argent. Je m'en fous ! C'est pas l'argent des taxes ou des dons des pays arabes. Tu ne peux pas monter si haut en affaires sans être un peu menteur, ça fait partie du jeu.

S'il n'y avait qu'un enjeu, un seul qui le justifiait de voter Trump, c'est la nomination du prochain juge de la Cour suprême.

« Il n'y a rien de plus sacré que la Constitution et elle veut la détourner en nommant un juge progressiste. C'est tellement malhonnête.

« Tu peux écrire mon nom, Jonathan Leonard, j'ai 46 ans et devine quoi ? Je suis membre de la NRA. Veux-tu voir mes guns ? »

Il me montre une série de pistolets, un « shot gun » semi-automatique, un AK-47, des vidéos de tirs sur des cibles.

« J'en ai d'autres chez mes parents. J'ai aussi un permis de port d'arme, mais là je n'en porte pas. »

Merci, John, je vais rouler en pensant à tout ça...

Photo Mark Sterkel, Associated Press

À l'extérieur des grands centres urbains, le Texas a voté pour les républicains.