Permettez qu'on réunisse ici deux sujets qui ont en commun une certaine émotivité judiciaire...

Si je comprends bien, la police a saisi l'ordinateur d'un journaliste dont le seul crime était d'avoir « googlé » au mauvais endroit...

Voilà ce qui ressort du reportage du collègue Tristan Péloquin, hier, et du mandat de perquisition obtenu contre le journaliste Michaël Nguyen, du Journal de Montréal.

Je rappelle que le mois dernier, les policiers de la Sûreté du Québec sont allés saisir l'ordinateur de Nguyen. On le soupçonne d'avoir accédé illégalement à une portion confidentielle du site du Conseil de la magistrature. Il aurait ainsi commis une intrusion ou un vol de données informatiques, ce qui est une infraction criminelle.

Les gens du Conseil, chargé de la déontologie des juges, se demandaient comment le journaliste judiciaire avait pu mettre la main sur le dossier, pas encore public, de la juge Suzanne Vadboncoeur. Le Journal de Montréal a diffusé cet été le contenu d'une plainte contre la juge, qui avait insulté des policiers du palais de justice après un party de Noël. Une vidéo de surveillance montrant son comportement avait également été diffusée.

Depuis, la juge a comparu devant ses pairs, a présenté ses excuses, et une décision du comité du Conseil entendant l'affaire doit être rendue sous peu.

Mais à l'époque, tout cela était encore confidentiel et censé être hors d'accès du public, puisque précieusement déposé dans une zone non accessible du site. Les gens du Conseil ont consulté leur fournisseur de service internet. Celui-ci les a assurés que le site était parfaitement sécurisé et que seule une manoeuvre de « hacking » avait pu permettre au journaliste de récupérer ces données.

Eh bien... Ce n'est pas le cas. Premièrement, dans sa requête pour récupérer l'ordinateur et faire casser la saisie, le Journal nous apprend que son journaliste a tout simplement obtenu l'information en tapant dans Google ! 

Le moteur de recherche l'a emmené dans la partie censée être confidentielle du site... petite caverne d'Ali Baba d'informations. Aucun mot de passe n'était requis !

Deuxièmement, quatre (je dis bien quatre) experts en sécurité informatique ont examiné le site tel qu'il était encore au début de la semaine, à la demande de La Presse. Leur conclusion ? Il n'est pas sécurisé du tout ! N'importe quel utilisateur dégourdi peut aller s'y promener.

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Aux dernières nouvelles, diffuser des informations d'intérêt public (qui allaient devenir officielles quelques semaines plus tard, en plus) trouvées sur un site destiné au public... ce n'est pas encore un crime, même si ça défrise quelques personnes au Conseil de la magistrature. Mieux vaudrait aller chercher des explications chez leur fournisseur de sécurité...

S'il n'y a pas de crime, il n'y a pas de motif de faire une perquisition. Et le mandat doit être annulé, en toute logique.

Mais il y a plus dans cette histoire. Il y a 25 ans, la Cour suprême a écrit que les perquisitions dans les médias devaient être soumises à un régime particulier, vu l'importance de la liberté de la presse. On n'y entre pas comme dans un moulin pour aller à la pêche aux preuves. C'est en fait un ultime recours, quand une enquête n'a pas pu être conclue autrement. La Cour suprême a établi neuf critères à évaluer avant d'autoriser une telle fouille.

Dans le cas du journaliste Nguyen, pourtant, deux juges de paix ont autorisé des perquisitions avec devant eux un dossier mince comme un cheveu de Donald Trump. 

On n'a pas la trace de la moindre discussion quant au fait que la perquisition a lieu dans un organe de presse. Ni du degré de difficulté censé être supérieur requis pour obtenir un mandat en pareil cas.

Voilà ce qui est le plus ahurissant dans ce dossier. Que le Conseil ait cru s'être fait « voler » des données - destinées à devenir publiques -, c'est une chose. Que son fournisseur informatique ait mal protégé le site, le Conseil ne pouvait pas s'en douter.

Mais qu'après toutes ces années à répéter que c'est un cas particulier, deux juges de paix ne prennent pas la moindre précaution pour protéger le matériel journalistique avant de permettre une perquisition et une saisie, ça, c'est inacceptable.

GND : LA VICTOIRE DU BON SENS

Dès le départ, je trouvais la condamnation de Gabriel Nadeau-Dubois pour outrage au tribunal mal fondée. On sentait dans le premier jugement une exaspération judiciaire devant le défi des étudiants à l'ordre établi. Le juge Denis Jacques, de la Cour supérieure, évoquait la pente glissante qui mène à l'anarchie, etc.

Pourtant, Nadeau-Dubois s'était bien gardé d'aller jusqu'à encourager la désobéissance civile. Devant la multiplication des injonctions pour permettre l'accès aux salles de cours pendant la grève étudiante, il avait simplement émis l'opinion que ces manoeuvres étaient inutiles.

Hier, la Cour suprême, à six juges contre trois (dont deux du Québec), a confirmé ce que la Cour d'appel avait dit : l'outrage au tribunal est un outil d'exception. Il aurait fallu la preuve, dans ce cas, que Nadeau-Dubois connaissait l'ordonnance précise qu'on l'accuse d'avoir encouragé à bafouer. Et la preuve de son intention d'encourager la désobéissance. Cette preuve n'a pas été faite.

Comme le dit la majorité, le jugement ne porte pas sur les événements du printemps 2012, mais bien sur des paroles précises prononcées pendant une interview à RDI, où il n'avait pas condamné le non-respect des ordonnances.

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Une partie de la magistrature avait été ébranlée par les événements de 2012. Les injonctions accordées un peu partout au Québec semblaient n'avoir aucun impact.

Il n'y a pas de doute qu'en principe, si les ordonnances ne sont plus respectées, les assises de la démocratie sont ébranlées, l'État de droit ne tient plus. Y compris, comme le dit habilement le juge Richard Wagner pour la minorité, tout ce qui permet de protéger la liberté d'expression... Autrement dit, ceux qui réclament la protection des tribunaux pour garantir leurs libertés publiques - manifestation, association, etc. - devraient être les premiers à respecter les ordonnances des tribunaux, même quand elles ne font pas leur affaire.

Mais tout aussi certainement, la voie judiciaire seule ne permet pas de régler les conflits politiques et sociaux. 

La multiplication des ordonnances peu applicables sans la force policière était contre-productive et se retournait contre l'autorité judiciaire à la fin.

Le juge Wagner, pour qui la condamnation était parfaitement justifiée, écrit que la grève de 2012 a été « une période d'agitation sociale sans précédent dans l'histoire du Québec ». C'est passer assez vite sur les années 60, la crise du FLQ, la grève générale du secteur public qui s'est achevée par l'emprisonnement des trois chefs syndicaux principaux du Québec (qui, eux, avaient clairement dit à leurs troupes de désobéir à la loi), et j'en passe.

Mais cela dit assez les marques qu'a laissées dans le monde judiciaire québécois ce printemps pénible.

Quand on ramène froidement le dossier à sa plus simple expression, par contre, la condamnation de l'ex-leader étudiant ne tenait pas la route.

Nadeau-Dubois savait marcher sur la ligne fine des mots, dans cette zone où se mêlent l'insinuation, la sympathie, la simple analyse et l'encouragement tacite à la désobéissance.

Il pouvait tourner autour du pot jusqu'à l'exaspération. Mais il savait très bien jusqu'où aller trop loin. Il n'était tout simplement pas coupable, et ç'aurait une grave erreur de le punir parce qu'il était un bouc émissaire commode.