Un peu plus bas, toujours plus bas. La seule chose vraiment digne et honnête de ce débat, c'est ce moment où ils n'ont même pas essayé de se serrer la main, au tout début. Ils se sont regardés. Personne n'a levé le bras.

Serrer la main d'un adversaire, c'est dire « que le meilleur gagne ». C'est reconnaître sa légitimité. Il est entendu qu'on fera tout pour avoir le dessus, mais selon les règles du jeu.

Cette fois, pour la première fois sans doute de l'ère moderne des campagnes à la présidence, les candidats ne se reconnaissent pas comme des adversaires légitimes. Ce sont des ennemis. Je n'étais pas d'accord avec les anciens candidats républicains, mais je n'ai jamais pensé qu'ils étaient inaptes à gouverner, a dit Clinton. Donald Trump est différent, a-t-elle ajouté : il est inapte. Autrement dit, il n'a pas les qualités humaines minimales pour diriger ce pays et son armée.

Trump est allé encore plus loin. S'il est élu, une de ses premières tâches consistera à nommer un procureur indépendant pour enquêter sur le comportement de Clinton, du temps où elle était secrétaire d'État.

On pensera ce qu'on voudra du fait que Clinton ait utilisé son adresse courriel personnelle au lieu de l'adresse de son ministère - mettant potentiellement à risque des secrets d'État et mettant hors du regard public certaines actions. Le FBI a conclu que, quoique très imprudente, cette conduite n'était pas criminelle.

Mais qu'importe. Jamais auparavant un candidat n'avait-il menacé d'entreprendre une enquête criminelle contre l'autre candidat dans l'éventualité où il serait élu.

Voilà la définition même de l'abus de pouvoir : si je suis président, je vais utiliser tous les pouvoirs que la loi me donne pour me venger politiquement et vous envoyer en prison.

Je sais qu'on a beaucoup écrit sur le tempérament dictatorial de Trump, mais cette fois, ce n'est plus de l'analyse psychologique. C'est une promesse électorale !

Elle dit qu'elle a affaire à un fou, lui, à une criminelle. Qui dit mieux ?

***

Encore une fois, Trump était mal préparé. Il répète sans cesse les mêmes lignes, ne répond pas aux questions. On lui parle de ses propos sur les femmes captés en 2005, il parle de Daesh ! De la sécurité publique. Il se plaint de son temps de réponse. Il joue la victime.

Mais cette fois, il a mieux attaqué Clinton. Mais oui, j'ai profité des abris fiscaux, a-t-il admis ; on pourrait changer ça, mais voyez-vous, Hillary n'a jamais changé ça parce que ses amis donateurs en ont aussi profité...

Clinton, de son côté, a moins réussi à mettre en relief son expérience et sa connaissance des dossiers, sauf brièvement en parlant du Proche-Orient. Je ne suis pas certain que Trump sait ce que sont les Peshmerga...

On notera ceci : après les commentaires acerbes de son candidat à la vice-présidence sur les commentaires sexistes de 2005, voilà que Trump dit être « en désaccord » avec Mike Pence sur la Russie. Ça promet pour le mois qui reste...

Clinton a attaqué abondamment la faiblesse de caractère de Trump, et Dieu sait que le thème est vaste. Mais pourquoi ne pas montrer son incompétence sur à peu près tous les dossiers ? Trump a parlé du PIB de la Chine au lieu de la croissance de son PIB. Il était sur une glace mince chaque fois qu'il parlait d'enjeux de fond le moindrement complexes.

Mais impossible d'avoir un commencement de débat sur les politiques dans ce contexte pénible. Il a été question de la haine refoulée de Clinton, d'un rire qu'elle aurait eu face à une victime d'agression sexuelle quand elle était avocate commise d'office en 1975 (une vieille histoire qui ne tient pas la route), de l'heure bizarre à laquelle Trump envoie des « tweets », et de la question de savoir si oui ou non il a embrassé certaines femmes ou touché leur sexe sans leur consentement.

Dans les circonstances, difficile d'espérer un semblant d'échange sur les idées politiques.

Trump, malgré tout, a été moins mauvais qu'au premier débat et Clinton n'a pas aussi bien établi sa supériorité évidente à tous égards. Ce qui prouve que Donald Trump a réussi au moins une chose : tirer la politique américaine à un niveau plus bas encore. Et plus le niveau baissera, mieux ce sera pour lui.

Forcés par une question de ce public « indépendant » choisi par la firme de sondage Gallup, ils ont fini cette soirée à St. Louis en se trouvant des qualités. De Trump, Clinton a vanté... les enfants. Il doit bien y être pour quelque chose, a-t-elle dit. Lui, plus gracieux pour une rare fois, a vanté son caractère de bagarreuse et sa détermination, des traits de personnalité qu'il admire - lui qui la traite constamment de faible.

Puis, ils se sont serré la main malgré tout, moment franchement laid de ce débat affreux.