Il a fallu que des accusations graves soient invalidées pour qu'enfin le monde de la justice criminelle se réveille.

Lundi, événement rare, on avait réuni autour de la ministre de la Justice Stéphanie Vallée les juges en chef des principales cours, la responsable des poursuites criminelles du Québec, les représentantes des avocats de la défense, la bâtonnière du Québec, etc.

Tous se sont engagés solennellement à collaborer pour régler la crise des délais. Un « plan d'action » de 22 points a été élaboré en catastrophe pour rassurer le public.

Ce plan découle de l'arrêt-électrochoc Jordan, rendu par la Cour suprême cet été. Il fixe des délais rigides au-delà desquels une cause doit être arrêtée purement et simplement, peu importe la gravité du crime - sauf raisons exceptionnelles. La complaisance par rapport aux délais a assez duré.

Résultat : un peu partout au pays, on voit des requêtes pour arrêt des procédures dans des affaires spectaculaires. Déjà, ici, le chef des Hells Angels a vu un procès pour gangstérisme et trafic de cigarettes tomber. Et ce n'est qu'un début.

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Belle initiative de réunir tout le monde, sans aucun doute. Je suis absolument favorable à des choses comme des « discussions entre les procureurs du DPCP et les avocats de la défense entre les dates pro forma ».

Pour ceux qui l'ignoreraient, une date « pro forma » est une date de rendez-vous à la cour fixée « pour la forme » et où l'on sait d'avance qu'il ne se passera rien. L'expression parfaite de la « culture des délais et des remises » dénoncée dans le même document...

Sauf que parmi les 22 mesures du « plan d'action », la plupart sont des voeux pieux. Les mêmes platitudes qu'on répète depuis 20 ans. « Favoriser le règlement des différends » ou « former des comités ».

« Étendre la visioconférence » pour éviter les déplacements inutiles ? Ouf. Ça fait 25 ans que ça existe, ils n'ont pas réussi encore à rendre ça optimal ?

On a dépassé le stade des bonnes intentions. S'il y a des délais, c'est parce qu'il y a des pratiques désuètes chez les avocats. De la complaisance chez les juges qui les laissent faire. Et des lois qui ne sont pas à jour.

Exemple de loi désuète (mais celle-là dépend d'Ottawa) : pourquoi y a-t-il encore des « enquêtes préliminaires » automatiquement à une époque où toute la preuve doit être communiquée ?

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On « discutera » tant qu'on voudra, la justice criminelle est un lieu d'affrontement. La défense a souvent intérêt à ne pas se rendre au procès rapidement et à compliquer les choses. Ne me faites pas croire qu'une table ronde y changera quoi que ce soit. Un avocat de la défense travaille pour son client, pas pour le système.

Alors faites des tables de concertation et du mentorat tant que vous voudrez, ça ne changera rien à rien.

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Ce qu'il faut, c'est changer les façons de faire. La directrice des poursuites criminelles et pénales, Annick Murphy, a reconnu que le nombre d'accusations dans des affaires compliquées devrait être réduit, tout comme le nombre d'accusés. Pas la fin des superprocès, mais une nouvelle approche. Pourquoi 25 ou 125 accusations quand... une grosse suffit ?

Il était temps !

Ironiquement, le gouvernement a mandaté en octobre 2015 un ancien sous-ministre pour analyser les problèmes des superprocès, leur durée, etc., et faire des recommandations. On attend encore un an plus tard...

Il faudra aussi que les juges tiennent la bride serrée non seulement à la poursuite, mais à la défense. Il faut commencer à instaurer des limites de temps. Et ça, personne d'autre que le juge ne peut le faire. Malheureusement, plusieurs sont encore trop timides. Le changement de culture viendra aussi de leur prise en charge des nouveaux pouvoirs de gestion qui leur ont été donnés.

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Je vois qu'on veut élaborer des « indicateurs de performance » de la justice. Il est à peu près temps. Toutes les activités professionnelles sont mesurées, ou presque... sauf la justice.

Tout le monde sait que les juges ont une productivité très variable. On sait que certains districts manquent de juges et qu'il en déborde ailleurs. On sait surtout que personne ne mesure tout cela ou ne le communique publiquement, vu que personne n'est appelé à en rendre compte. Pourquoi ?

Ça n'entame en rien l'indépendance judiciaire que de demander des comptes aux juges.

Que font les tribunaux pour faire diminuer les délais ? Les juges en chef sont-ils formés aux outils de gestion modernes ? Si oui, ça ne paraît pas sur le terrain.

Ce n'est pas tant des nouveaux juges pour ajouter au contingent qu'il faut. C'est un esprit judiciaire nouveau.

Il faut des juges qui s'adaptent à la nouvelle réalité, qui prennent la mesure de la crise, et décident de faire partie de la solution.

En dehors de ça - mesures de la performance, nouvelle façon de travailler de la poursuite, limites de la durée des débats, gestion serrée des juges - , tout le reste, ce n'est pas de la littérature, c'est du vent.