Que faut-il faire quand un menteur pathologique est candidat à la présidence ? Faut-il l'appeler « menteur » ? Faut-il lui couper la parole dans un débat ?

Même un an plus tard, à six semaines de l'élection, plusieurs médias américains se demandent encore comment parler de Donald Trump sans trahir leurs principes.

Principes d'équilibre, de présomption de la bonne foi, d'objectivité...

Devant deux partis principaux se disputant le pouvoir, classiquement, il faut présenter le plus honnêtement possible les propositions et laisser le public décider.

Le candidat X veut diminuer le taux d'imposition, la candidate Y veut l'augmenter. Les experts sont convoqués pour analyser le pour et le contre, on vérifie les faits, les chiffres, etc.

En principe, mis devant les données disponibles et les versions contradictoires, l'électeur pourra faire un choix éclairé. Ainsi va la théorie !

Il n'y a pas de certitude absolue en matière de politiques économiques, il y a place à débat...

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Mais que faire si le candidat X dit que la Terre est plate ? Juxtaposer la position de l'autre parti ? « De son côté, la candidate Y affirme qu'elle est ronde » ?

Passé un certain stade de fausseté, il devient absurde de mettre côte à côte deux « versions ». Le souci de présenter différents points de vue, devant une fausseté prouvée, est de la complicité dans la désinformation.

C'est pourquoi le New York Times a « osé » traiter Donald Trump de menteur la semaine dernière, quand il a finalement reconnu que Barack Obama est bel et bien né aux États-Unis.

Menteur, parce que la preuve est faite depuis 2008, acte de naissance à l'appui. Et pourtant, Trump a remis en question cet état de fait en 2011. Puis en 2012 sur Twitter, citant « une source extrêmement crédible ». Puis en 2014, quand il a incité les « hackers » à entrer dans le système informatique du collège fréquenté par le président pour démasquer la « fraude » de son lieu de naissance.

Puis, après cinq ans, il admettait enfin que le président Obama a été légalement élu.

« Donald Trump a répété le mensonge du lieu de naissance mais ne s'excuse toujours pas », titrait le quotidien.

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Devant un acharnement à nier la réalité, sans même le début d'une preuve, il n'y a apparemment rien d'audacieux à parler de « mensonge ». C'est pourtant un pas rarement franchi dans un article de journal, en particulier à propos d'un candidat à la présidence.

Mentir suppose une intention de tromper. Dans la vie comme en politique, on peut très bien ne pas dire la vérité sans « mentir ». On peut se tromper de bonne foi. On peut proférer des faussetés en croyant qu'elles sont vraies. Ou sans avoir vérifié. On peut oublier. Ceux qui croyaient que la Terre est au centre du monde ne mentaient pas, ils ignoraient que la science prouverait le contraire un jour.

On peut embellir les faits. Taire ce qui ne fait pas notre affaire. Exagérer.

Bref, ce qui n'est pas vrai n'est pas forcément un mensonge et il y a tout un spectre moral qui sépare l'erreur honnête du mensonge crapuleux.

L'accusation est grave. Ça suppose de pouvoir prouver les intentions de celui qui parle. D'aller dans sa psyché...

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Que les politiciens mentent, ça n'a rien de nouveau. Mais le cas de Trump est d'un autre ordre. Non seulement il ment « plus », mais encore, il ment autrement.

« Autrefois, le but du mensonge politique était de créer une fausse perception du monde », écrit The Economist, qui parle d'une nouvelle ère « post-vérité ».

« Les mensonges des hommes comme M. Trump [...] ne visent pas à convaincre les élites, que leurs cibles électorales n'aiment pas et ne croient pas, mais à renforcer les préjugés. »

Naguère, par exemple, George Bush prétendait que l'Irak possédait des armes de destruction massive, et par là voulait convaincre l'opinion de la nécessité d'une guerre. Le temps de démontrer que c'était faux, le régime serait déjà renversé. Eh ben, y avait pas d'armes dangereuses là...

Trump n'essaie même pas de faire une démonstration. Il nie ce qu'il a déjà dit, il se contredit, ça n'a aucune importance. Ce qui compte, c'est de créer une émotion, une réaction. Peut-il éliminer le déficit en « coupant » dans le ministère de l'Environnement ou dans l'éducation ? Impossible mathématiquement. Pas grave : on va couper ailleurs. Il y a tellement de gaspillage ! Est-il possible de construire un mur à la frontière et de faire payer le Mexique ? Évidemment non. Pas grave : il y a tellement d'immigrants illégaux !

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Plusieurs médias construisent des outils de vérification des faits nouveau genre devant l'ampleur catastrophique des faussetés proférées par Trump. Mais si sa campagne a survécu et prospéré autant, c'est aussi parce que les médias de référence ne mènent plus le jeu comme avant. Leur autorité, leur auditoire ont chuté de manière tout aussi spectaculaire depuis 25 ans. Le public s'abreuve dans une galaxie de sources où la science et l'expertise côtoient les rumeurs délirantes, les accusations sans fondement et les complots.

Les républicains n'ont jamais aimé le New York Times, mais aucun candidat n'aurait osé dire que c'est un journal « corrompu ». Aucun ne se serait permis de retirer l'accréditation du Washington Post. De se mettre à dos plusieurs animateurs des chaînes principales.

Qui dit vrai ? Le blogue ou le vénérable quotidien de telle ville ? Comment savoir ? Chacun sa vérité !

Le triomphe de Trump, c'est bien des choses qu'on n'a pas fini d'analyser. Mais c'est aussi la crise des médias traditionnels et des institutions.