Un peu comme avec Usain Bolt, on cherche les trucs pour battre Mo Farah. Mais y a rien à faire. Il ne les laisse pas faire. Course lente, course rapide, stratégie d'équipe... Personne n'y arrive.

Ça n'aura pas le retentissement du triple triplé de Bolt. Mais un double doublé dans les courses de fond, c'est tout de même un sacré exploit.

Farah a pris l'or samedi, au 5000 mètres, une semaine après l'avoir décroché au 10 000 mètres. Et quatre ans après avoir fait sauter le stade deux fois, chez lui à Londres. Ni Zatopek, ni Gebreselassie, ni Bekele n'y sont parvenus. Seul le Finlandais Lasse Virén avait réussi ça, à Munich et à Montréal.

« Je voulais faire comme je fais d'habitude, m'installer un peu en arrière et chiller, nous a-t-il dit avec cet immense sourire. Mais j'ai vu que les Éthiopiens voulaient battre le fer très fort. Ça m'a surpris. J'ai su que je devais entrer dans la course, sinon j'étais cuit. C'est ce que j'ai fait avec cinq tours à faire. »

Cette course a été brutale. Il a fallu attendre passé une heure du matin pour savoir qui avait les autres médailles. La responsable de la conférence de presse passait son temps à changer les cartons. Eh non, c'est dommage, le vieux Bernard Lagat, 41 ans, à ses cinquièmes Jeux (bronze à... Sydney en 2000 au 1500 mètres !), qualifié à la surprise de tous pour les États-Unis, n'aura pas de médaille. Il avait bénéficié de deux disqualifications... qui ont été annulées. Il finit cinquième.

« Je savais que ça jouerait dur et je n'avais pas l'intention de me faire coincer. Aussi, j'ai pris le contrôle en leur donnant l'impression qu'on continuait à aller vite, mais en fait, je les ralentissais... »

- Mo Farah

On ne fait pas un double doublé sans être bon tacticien...

On est loin d'un record, mais à 13 min 03,3 s, ce n'était pas un rythme paresseux pour autant.

Le Canadien Mohammed Ahmed, quatrième (13 min 05,94 s), du jamais-vu pour un Canadien, a réussi une des plus belles courses de sa vie. Quand il est passé dans la zone mixte, il pensait être disqualifié. On l'a dit cinquième... sixième... disqualifié... Et le voici quatrième, ce qui est presque plus frustrant.

« Je sais que je pouvais battre ces gars-là, mais à la fin, il m'en a manqué un peu. »

Les disqualifications sont dues au fait que la barre qui délimite la piste avait été retirée sur une portion de l'ovale pour permettre la compétition de saut en hauteur. Certains ont empiété sans s'en rendre compte, apparemment. Mais le jugement a changé plusieurs fois.

L'argent est allé à un ex-Kényan devenu Américain, Paul Chelimo, et le bronze à un des Éthiopiens qui ont échoué à le « casser », Hagos Gebrhiwet.

La conférence de presse s'est terminée par une série de questions sur le dopage : Farah est entraîné par le coach américain Alberto Salazar, qui fait présentement l'objet d'une enquête - mais qui vise sa relation avec celui qui courra le marathon ce matin pour les États-Unis, Galen Rupp. On lui a aussi demandé comment il se fait qu'on le voie en photo ici et là avec un entraîneur associé au dopage.

« Les gens vous demandent un selfie avec eux, on ne peut pas leur dire non. Je ne suis pas associé avec lui... »

On n'en sortira pas de sitôt.

COURIR EN NONO

On ne veut rien enlever à la médaille d'or de l'Américain Matthew Centrowicz. Mais avant d'être gagné, le 1500 mètres a été perdu par le Kényan Asbel Kiprop, censé être de loin le meilleur au monde.

Ce type a la tactique la plus bizarre du peloton. Il s'installe systématiquement tout en arrière. Il laisse rouler tout le monde. Il se repose. Puis, vrrram, il décolle et va les chercher un à un. C'en est insultant, tellement ça semble facile.

Sauf que des fois, il se plante royalement. Quand la course est lente, plusieurs ont encore assez de carburant sur le dernier tour pour lui tenir tête.

Samedi, la course n'était pas lente. Elle était archilente. Centrowicz l'a gagnée en 3 min 50 s. Même à Berlin en 1936, l'or s'est gagné en moins que ça. 

Faut remonter à Los Angeles 1932, quand la piste était en terre battue et qu'on n'avait pas inventé l'ouvre-boîte électrique.

Il y a eu un accident, il faut dire, l'autre favori, le Kényan Ronald Kwemoi, est tombé... s'est relevé... Kiprop a paru dérangé. Mais comme me dit une collègue kényane : « Si tu te tiens en arrière, c'est des choses qui risquent d'arriver ! »

À la fin, quand il s'est enfin décidé à bouger, il n'est arrivé à rien. Enfin, sixième, pour l'homme dont le légendaire El Guerrouj a dit qu'il était « le seul à pouvoir battre mon record », c'est rien. Tant qu'à faire, aussi bien finir bon dernier, comme à Londres, où il s'était plaint d'une blessure.

Les journalistes kényans se tenaient la tête. Quelle course de nono !

- Est-ce que cet échec va te faire changer de tactique ? lui ont-ils demandé.

- Non, c'est mon style.

Il a ajouté qu'il allait passer au 5000 mètres pour l'avenir.

« La seule constante avec Kiprop, c'est son inconstance », a dit le médaillé de bronze, le Néo-Zélandais Nich Willis. Bien dit. Kiprop était en or à Pékin en 2008, a remporté les trois derniers championnats du monde, a été le seul à s'approcher du record du monde l'an dernier... et là...

Centrowicz a bien couru. Quatrième à Londres, il est allé chercher une médaille d'or historique au 1500 mètres pour les Américains - ça remontait à 1908.

« J'avais cinq stratégies dans ma tête selon ce qui se passait, mais à la fin, c'était seulement de se mettre en bonne position. »

« Si la course avait été rapide, il y aurait eu deux Kényans sur le podium », a admis le médaillé d'argent, l'Algérien Taoufik Makhloufi, un type qui sait jouer du coude sur une piste, et qui avait remporté l'or à Londres.

Déçu, l'Algérien ? « J'ai deux médailles d'argent, ça vaut bien l'or », qu'il nous a dit en forçant le sourire. Son visage n'était pas au courant et racontait tout autre chose à l'arrivée. C'est la première fois que Centrowicz finissait devant lui. Et à ce rythme, franchement, il s'en voulait de ne pas avoir gagné.

Sebastian Coe, qui a été un légendaire coureur de 1500 et de 800 et qui est maintenant président de l'IAAF, a parlé à Centrowicz après.

- Que t'a-t-il dit ?

- Bienvenue dans le club ! El Guerrouj aussi m'a félicité.

Fils d'un ancien coureur olympique qui, lui, n'a pas eu de podium, Centrowicz avait une entente avec son père : ils auront un tatouage commun. Lequel ? « Tel fils, tel père, je crois... »

Le Canadien Nate Brennan, 10e, avait déjà accompli son rêve en participant à la finale... « Je serai content, mais là, je suis un peu déçu, à ce rythme-là, j'avais une chance ! »