Où qu'on soit dans le monde, rarement la mort d'un médecin fait-elle la manchette. Mais Ivo Pitanguy était bien plus qu'un médecin de Rio et les médias lui ont rendu un immense hommage.

Pitanguy, mort le 6 août à 94 ans, est le père de la chirurgie plastique brésilienne, « le maestro ». Dans le pays qui a le championnat du monde de la chirurgie esthétique, Pitanguy était une personnalité presque aussi célèbre que Pelé.

« Ma belle-mère pouvait reconnaître un nez Pitanguy entre tous », me dit une Québécoise mariée à un Carioca.

Le Brésil compte 3 % de la population mondiale ; on y réalise près de 13 % de toutes les chirurgies esthétiques de la planète, selon ce qui a été compilé dans un congrès international en 2014.

« Les gens sont très vaniteux au Brésil. C'est vrai qu'il y a un culte du corps, avec cette culture de la plage, qui est le plus grand club social au pays, avec cet été qui ne finit jamais. Chacun veut voir et être vu », me dit le Dr Volney Pitombo, président de l'association des plasticiens de Rio de Janeiro, lui-même à la tête d'une clinique du beau quartier Botafogo.

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« Pitanguy était pour nous un père, un formateur, un paradigme, celui qui a popularisé la chirurgie esthétique, autrefois réservée aux vedettes de Hollywood et aux gens très fortunés », ajoute le Dr Pitombo.

Formé en Europe et aux États-Unis, Pitanguy avait passé plusieurs semaines à opérer des milliers de victimes d'un incendie dans une tente de cirque, en 1961. L'événement avait changé sa vie, disait-il. Dans une entrevue au Guardian en 2014, il disait que le chirurgien plasticien est un « artiste du vivant, qui s'intéresse au corps autant qu'à l'âme ». Un jour, on comprendrait mieux son rôle, pour apaiser « ceux qui ont été trahis par la nature » ou qui ont été victimes d'un accident.

Charmant, polyglotte, connu internationalement, devenu immensément riche mais contribuant à diverses cliniques gratuites, Pitanguy était une star médiatique. Et aussi l'inspirateur d'une formidable industrie...

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Les interventions chirurgicales ne sont pas taboues au Brésil, vous dira-t-on. Mais Ângela Bismarchi, une femme largement reconstituée, pour ainsi dire, franchit la ligne qui sépare la décomplexion de l'enthousiasme du bistouri.

Cette starlette de téléréalité, connue... pour être célèbre, fait grand étalage dans les médias de ses multiples interventions. On ne sera pas surpris d'apprendre qu'elle a épousé deux chirurgiens plasticiens.

Avec un interprète, je l'ai jointe au téléphone la semaine dernière.

« On dit que j'ai eu 42 interventions, mais en réalité, c'est seulement 12 opérations comme telles, dit la femme de 49 ans. La plus controversée est ma reconstruction vaginale [une tendance] : on m'a refait un hymen, je suis redevenue vierge, c'était un cadeau pour mon nouveau mari. Les yeux, le nez, une liposuccion, les seins... Deux fois, je suis passée de 500 ml à 370 ml, je trouvais ça plus joli. J'ai eu les yeux japonais, aussi, c'était le thème cette année dans mon école de samba. Mais c'était temporaire.

« Les gens veulent que je sois belle, je le fais aussi pour les gens. Si tu ne te sens pas belle et que tu es déprimée, ça peut t'aider. Ayant été mariée à deux chirurgiens, j'ai été chanceuse. Je sais que je suis critiquée, mais il y a beaucoup d'envieux. »

« Je trouve ce genre de choses plutôt bizarres, dit le Dr Pitombo. Une, deux chirurgies pour vous aimer mieux, ça va, mais au-delà, il y a une question éthique à se poser. Le corps et la peau ont des limites. Il y en a qui se trompent sur leur propre corps, et le médecin devrait les en aviser. »

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Les dernières tendances ? Les hommes représentent le tiers des clients. Le nez, encore et toujours. « On ne fait plus comme avant un seul modèle, il doit s'adapter au visage », dit le Dr Pitombo. Les augmentations mammaires, bien sûr. « La mode n'est plus aux très gros seins, mais dans la proportion. »

Autre tendance forte (très critiquée par des médecins) : le bombage des fesses.

Il semble que les Brésiliens aient une fixation sur les fesses, par opposition aux Américains qui s'intéresseraient plus aux seins. Les magazines « pour hommes » en témoignent d'ailleurs ici, où c'est de dos qu'on vous présentera généralement les vedettes du numéro.

« C'est vrai, les hommes brésiliens aiment les postérieurs volumineux, mais je vous parle en général, ce n'est pas mon opinion », précise le spécialiste.

On a d'ailleurs au Brésil le très chic concours de « Miss Bumbum » pour en témoigner.

Si les Inuits ont plusieurs mots pour décrire la neige, les Brésiliens distinguent le simple « bunda », du délicat « bundinha » à l'imposant « bundosa » (merci à Daniel Pinard pour cette leçon de sociolinguistique).

Mais que ce soit pour une reconstruction de la main coupée dans un accident, un nez amélioré ou des oreilles recollées, des millions de parties de corps au Brésil doivent quelque chose à Ivo Pitanguy.