D'après les statistiques, peu de petits gars de 4 ans à Sarnia, Ontario, rêvent de devenir sauteur en hauteur quand ils seront grands. Ni d'ailleurs, en fait.

Mais dans le sous-sol des Drouin, il y avait chaque jour une compétition de saut en hauteur très olympique opposant Derek et ses soeurs. Il est devenu grand - 6'5''. Il est sauteur en hauteur de son métier et champion olympique depuis hier.

Ils étaient 15, dans le stade plutôt vide de Rio. Et puis, il n'en restait que trois. Derek Drouin pouvait foncer dans la barre, il avait sa médaille. Sauf que le bronze, il l'a eu, il y a quatre ans, aux Jeux de Londres. Se retrouver dans ce groupe de trois, certain d'une médaille, c'était assez pour lui procurer l'extase.

Pas cette fois. Pas là.

C'est ainsi que ce grand gars de Sarnia, Ontario, est devenu le troisième médaillé d'or canadien à Rio. Il est le 14e seulement en athlétisme dans toute l'histoire olympique canadienne, le plus récent étant Donovan Bailey au 100 m. Sachez aussi que c'est le deuxième au saut en hauteur, l'autre étant, comme vous le savez sans doute, Duncan McNaughton, en 1932...

Lui ne le savait pas. « Vraiment ? Ça fait drôle de se retrouver dans cette courte liste, je ne le réalise pas vraiment... »

Pas grave, Derek, ce n'est que ce soir, la cérémonie des médailles.

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Drouin a beau être champion du monde, il a connu une saison très ordinaire. Il a manqué des compétitions. Pour mieux se préparer, a dit le coach. Parce que j'étais blessé, a dit Drouin. L'un n'excluant évidemment pas l'autre. Enfin bref, ses derniers résultats n'annonçaient pas un triomphe.

La prestation a pourtant été parfaite. Il a réussi tous ses sauts du premier coup. L'Ukrainien Bohda Bondarenko a décidé de ne faire qu'un saut sur deux, sorte de quitte ou double qui l'a forcé à essayer 2,38 m après avoir réussi 2,33 m. Drouin avait assuré à 2,38 m. L'Ukrainien a échoué. Le Qatariote Mutaz Barshim s'est arrêté à 2,36 m - lui était authentiquement en extase avec sa médaille, la première d'argent de son pays, qui n'avait connu jusque-là que la moindre extase du bronze. « Le président du Qatar vient de m'appeler. Je crois qu'il y aura un défilé quand je vais rentrer à la maison... »

« J'étais malade, a expliqué l'Ukrainien. Je faisais de la fièvre, j'ai dû prendre des antibiotiques, alors je conservais mon énergie pour faire le moins de sauts possible. »

« Il fait tout le temps ça », a dit l'entraîneur de Drouin.

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Une fois les deux autres médaillés éliminés, Drouin pouvait tenter de battre le record olympique, qui est de 2,39 m. Ça ne changeait plus rien au résultat. Mais pourquoi pas ? D'autant qu'il a déjà réussi 2,40 m. Et puis, cette barre, il volait si haut par-dessus toute la soirée...

Il a essayé un coup. Il n'avait plus la tête à ça. Il avait droit à deux autres essais. Il a dit non merci, bonne soirée, tout le monde.

Dans les gradins, son entraîneur de toujours, celui qui l'a dépisté à Sarnia pour l'Université de l'Indiana, se frappait la tête.

« Je voulais lui dire : reste, reste, vas-y, vas-y ! Je voulais descendre sur la piste... Un de mes amis m'a retenu et c'est une très bonne chose, a dit Jeff Huntoon. Il a essayé une fois, c'est bon. »

Pour Huntoon, qui a connu Drouin adolescent, c'était un grand jour aussi. « J'ai vu il y a neuf ans qu'il avait du talent, mais je ne pensais pas du tout aux Jeux olympiques. »

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« Quand je suis dans le stade, je ne vois que la barre », dit Drouin. Peut-être, mais il entend des choses. Pour avoir été à Londres le soir de sa médaille de bronze, dans un stade de 80 000 personnes plein à craquer, je peux dire que l'atmosphère n'était pas tout à fait la même hier à Rio. En fait, d'atmosphère, il n'y avait pas vraiment.

Sachez que pas grand-chose ne vient troubler la quiétude du sauteur.

« Je ne suis pas nerveux du tout. En fait, j'aime les Jeux. Je suis content d'être là. »

Et puis au fond, qu'est-ce qu'il y a de si énervant à tenter de sauter 50 cm au-dessus de votre tête devant un milliard de personnes et plein de sièges vides ?

On s'installe devant la barre. On la fixe. On s'étire, on mime le saut, on se claque la joue trois fois, on fait quelques bonds - chacun a ses bonds très personnalisés -, on court, on saute... pouf, on tombe dans un matelas moelleux. La barre a tenu ou pas.

Où est le stress ?

Quand tu as fait ça toute ta vie dans le sous-sol, c'est la vie, tout simplement.