Jamais vu une seizième d'aussi bonne humeur. Geneviève Lalonde est sortie de la piste avec le même enthousiasme que deux jours avant, quand elle s'est qualifiée de justesse pour la finale du 3000 m steeple en améliorant le record canadien de deux secondes.

Elle n'a pourtant pas eu la course de sa vie : 9 min 41,88 s. C'était 11 secondes de plus que samedi, sans doute bien plus que ce qu'elle souhaitait. Pas grave, la course de sa vie, elle l'a eue samedi, justement. Hier, il n'y avait pas tellement mieux à espérer réalistement.

Toujours est-il qu'elle était encore sur beaucoup d'adrénaline, beaucoup, beaucoup, et pensait déjà à Tokyo.

« Je n'ai jamais participé à une course aussi rapide. Je respirais le feu, mes jambes brûlaient, je me ressentais encore des préliminaires. Mais je ne peux pas ne pas être contente ! J'ai seulement 24 ans, j'aurai 28 à Tokyo, j'ai plein de choses à apprendre, je ne suis pas à mon sommet. Top 10, top 5, une médaille ? »

L'entretien est à peine terminé qu'on lui glisse à l'oreille une demande : Radio-Canada Moncton voudrait l'avoir à 17 h 55.

Vous aurez compris qu'en ce jour de fête nationale acadienne, 1755 n'est pas un chiffre insignifiant.

« Je viens de vivre un grand Tintamarre mondial dans le stade ! », a dit Lalonde.

Lalonde est un nom québécois, me direz-vous, et de fait, elle est née à Montréal, mais a été élevée au Nouveau-Brunswick. Ce qui nous mène à la question épineuse : faut-il être de descendance acadienne pour être acadien, ou seulement avoir l'accent et être archi-sympathique ?

L'espace nous manque ici pour élaborer sur l'acadianité. Surtout aujourd'hui.

Elle était au téléphone avec son mentor Joël Bourgeois, l'ancien olympien de steeple acadien, juste avant de nous parler.

« Il m'a dit, félicitations, la job est pas encore finie, il te reste du temps ! Il est aux dunes de Bouctouche pour la Fête. Je suis allée tellement souvent avec eux, c'est comme la famille. »

Il n'y a pas de doute, je crois.

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Cette finale a été peut-être le 3000 m steeple féminin le plus relevé de l'histoire. Le record n'a pas été battu, mais la gagnante a fait la deuxième performance mondiale (8 min 59,75 s), et le record appartient à une Russe, Gulnara Galkina, donc, bon, enfin.

Cette gagnante, que personne ne pouvait même approcher, Ruth Jebet, est une de ces 20 Kényans qui courent sous un autre drapeau. Elle porte les couleurs de Bahreïn, comme la médaillée d'argent du marathon, elle aussi kényane de naissance. De l'argent, de meilleures conditions d'entraînement, fuir un système corrompu ou les querelles de fédération... les raisons sont nombreuses.

Il y a aussi que le Kenya dispose de tellement de talent qu'il pourrait former six ou sept équipes nationales de premier plan. On ne trouve pas toujours la place dans l'équipe nationale malgré un classement d'élite. Tandis qu'à Bahreïn... ça va.

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Derrière la Kényane Kiyeng Jepkemoi, avec l'argent, on retrouve celle qui a réussi sa meilleure course à vie, Emma Coburn en bronze, une première pour une Américaine, huitième à Londres. Ce qui prouve qu'on n'a pas à être africaine ou russe pour réussir dans le steeple.

Un encouragement pour Geneviève Lalonde (qui n'a pas l'air d'en avoir besoin de toute manière). On notera tout de même que le bronze s'est gagné en... 9 min 7,63 s.

Joël Bourgeois a raison : y a de la job à faire. Mais ça n'a pas l'air de - j'allais dire la déranger - l'intimider.

Rendez-vous dans quatre ans, Geneviève Lalonde.

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Le coureur de steeple québécois Alex Genest, partenaire d'entraînement de Lalonde, était dans le stade hier. C'est comme spectateur qu'il vivra ces Jeux, pour cause de blessure. On se blesse dans tous les sports, mais le steeple, avec ses haies, ses fosses, est particulièrement brutal.

Avant la course des femmes, il y avait les premières rondes de qualification du 3000 m steeple des hommes. Et le gars avait un gros pincement au coeur. Il était à Londres en 2012 et se voyait ici, évidemment. Tant d'années à s'entraîner... Tant de blessures... Et ses amis juste là devant.

Quant à Lalonde, elle a « tourné une page d'histoire » avec cette finale et un nouveau record canadien, d'après lui.

« Hier, c'était prévisible, elle avait les jambes lourdes, elle avait fait sa meilleure performance à vie il y a deux jours. Les meilleures n'étaient pas obligées de tout donner pour se qualifier. C'est ça, l'expérience. Ça va venir ! »