Difficile à croire, quand on fait la somme de toutes ses médailles, mais il en manquait une à Michael Phelps. Celle du 200 m papillon, sa grande spécialité, sa première épreuve olympique, à 15 ans, à Sydney.

Et à Londres, voilà que le Sud-Africain Chad le Clos, venu le chercher dans les tout derniers mètres, la lui avait piquée.

« Je ne l'ai dit à personne avant la course, mais il n'était pas question que je ne gagne pas cette course, et sinon, j'allais laisser la dernière once de ma volonté dans le fond de la piscine », a dit Phelps, qui portait encore sa serviette autour de la taille en conférence de presse.

Le pauvre Chad n'a pas même fait le podium, finissant quatrième - l'équivalent de prendre le clos, en effet.

Il n'y avait pas beaucoup d'amour entre ces deux-là, qui se faisaient de drôles de faces dans la chambre d'appel, là où les concurrents sont séquestrés juste avant le départ. Phelps l'avait regardé avec des fusils dans les yeux, l'autre faisait du shadow boxing autour...

À trop surveiller le Clos, Phelps n'avait pas conscience qu'il n'avait gagné que par... quatre centièmes sur le Japonais Masato Sakai.

Il a brandi le poing à l'arrivée avec une agressivité qu'on ne lui connaissait pas.

En conférence de presse, il a minimisé la rivalité entre le Clos et lui, concluant que... « le p'tit gars a du talent ».

« J'avais une mission en arrivant ici. Mission accomplie. »

Peut-être bien, mais... il restait encore le relais 4 x 200 m style libre, qu'il terminait, seulement une heure après sa victoire au papillon.

« Je peux vous dire que d'enfiler deux courses en seulement une heure, c'est beaucoup plus difficile qu'avant. »

Ça n'a pas vraiment paru : l'équipe américaine a ramené l'or encore une fois.

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Au sommet du podium, Phelps était manifestement ému.

« Je pensais aux 16 années qui venaient de s'écouler... À tout le travail qu'on a accompli, [son entraîneur] Bob Bowman et moi... Ouf, ça en fait des médailles ! Et au fait que c'était mon dernier 200 m papillon. Cette course, c'est mon pain et mon beurre, vous comprenez ? »

Et à 31 ans, revenant de sa retraite, il la reconquiert...

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Bref rappel : 5e à Sydney au 200 m papillon, à 15 ans ; six médailles d'or et deux de bronze à Athènes ; huit d'or à Pékin ; cinq d'or et deux d'argent à Londres ; après trois épreuves, il en est à trois médailles d'or à Rio... et il lui reste trois épreuves.

Depuis deux jours, les médias s'amusent à comparer son nombre de médailles d'or au total historique par pays. Il a dépassé l'Argentine (19), il s'approche du Brésil (23)... En cinq JO, il a remporté plus de médailles d'or que le Canada pendant les mêmes Jeux... etc.

Mais il a conquis beaucoup plus que trois autres médailles et ce titre perdu en 2012, à Rio. Après tout, bien avant d'arriver ici, Phelps avait déjà un nombre insurpassable de médailles. Il a réussi surtout à surmonter ses démons.

Il y a deux ans, Phelps a été arrêté pour ivresse au volant. Suspendu six mois par sa fédération, banni des Mondiaux en 2015, il a touché le fond du baril, reconnu son alcoolisme et entrepris une cure.

Il s'est marié et a eu un enfant, Boomer, il y a trois mois.

Quand il est allé serrer son bébé, après la reconquête de son titre, il y avait toute cette autre reconquête, de sa propre vie, qui remontait.

« Je voulais le serrer plus longtemps... C'était bon de le voir éveillé, il dort tout le temps. Je ne le vois que par FaceTime ces derniers temps... »

(Et notre collègue Simon Drouin, dit l'ours de Rosemont, tout attendri, pleurait doucement en voyant ça. Un collègue brésilien lui a appris ce joli mot portugais intraduisible : saudade.)

Il y avait une mission, oui, mais elle dépassait de loin les 200 m papillon. Une sorte de mission impossible... qui a l'air accomplie. Il est bon là-dedans, Phelps, les missions impossibles.

BAUMANN, PÈRE ET FILS - Ashton Baumann voudrait bien se faire un prénom, mais même dans les articles les plus sympathiques, pas moyen d'en sortir : c'est le fils d'Alex. La preuve : c'est à lui que j'ai parlé hier soir.

Il se trouve qu'Alex Baumann est un des grands noms de la natation au Canada : à Los Angeles, il a remporté deux médailles d'or (200 m et 400 m quatre nages), en plus d'établir deux records du monde.

Il a marié une nageuse australienne et, comme par hasard, quand est venu le temps de choisir un sport, Ashton et sa soeur Tabitha n'ont pas choisi le tir à l'arc. Ils se sont retrouvés dans une piscine. Tabitha a déjà fait les Panam, mais ne s'est pas qualifiée pour Rio. Ashton a terminé 24e hier au 200 m brasse et ses Jeux sont terminés. Ashton est un des 13 Canadiens enfants d'athlètes olympiques à Rio.

« C'est un peu injuste qu'on les compare à moi, comme si le fait d'être mes enfants leur rendait la partie facile, dit le père. Les gènes sont une chose, mais c'est le travail qui vous mène aux Jeux olympiques. C'est un perfectionniste et il a travaillé très fort. Il est déçu, même si sa qualification pour Rio était loin d'être assurée ; il espérait faire les demi-finales, il lui a manqué une seconde. »

Baumann dirige maintenant le sport de haute performance de la Nouvelle-Zélande.

Et le dopage, Alex ?

« J'ai fait face aux Allemands de l'Est dans les années 70 et 80, alors je sais ce que c'est. Personnellement, j'applaudis à la décision des Jeux paralympiques d'exclure la Russie. Le CIO avait l'occasion d'envoyer un message fort sur le dopage et il ne l'a pas fait. On est à un carrefour et il faut être intraitable, même s'il y a des dommages collatéraux pour des athlètes. L'intégrité du sport est en jeu et je ne blâme pas les gens de se désintéresser des Jeux. »

Merci, vous pouvez retourner consoler votre fils, Alex...