Avant qu'ils ne démolissent les maisons une par une, il y avait ici sous mes pieds la rue Gil Villeneuv. La favela Vila Autódromo, comme son nom l'indique, s'est bâtie à côté de l'ancien circuit de Formule 1 du Brésil.

«C'est les hommes qui choisissaient les noms de rues, personnellement je n'aurais pas choisi des pilotes», me dit Inava Mendes Brito. Épuisée après des années de résistance, cette ancienne prof a fini par accepter le dédommagement de la Ville et par laisser sa maison se faire raser pour la cause olympique.

Nous sommes ici tout juste de l'autre côté des grilles qui entourent le Parc olympique, dans une minuscule enclave avec vue sur le centre des médias. On a rasé les 500 maisons dépareillées qui faisaient un peu trop désordre au goût de la Ville et, surtout, des promoteurs qui veulent faire ici la Rio du futur.

Pour faire bonne figure, la Ville en a reconstruit 20, toutes pareilles, toutes blanches immaculées, installées depuis un mois dans une rue pavée de frais où la tourbe n'a pas réussi à prendre assez vite pour la visite.

«C'est beaucoup plus confortable», me dit une nouvelle relogée.

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J'écris «favela», mais rayez les images de bidonville, de maisons en tôle, d'extrême pauvreté et de gangs criminels. Cette favela-ci était habitée par des travailleurs, bien organisés, et militants. Ça fait plus de 20 ans qu'ils résistent à l'expulsion.

Le terme «favela» recouvre toutes sortes de communautés où vivent 25% des Cariocas. Ce qu'elles ont en commun, c'est l'appropriation d'un terrain public, l'autoconstruction et l'organisation autonome de son bout de ville où les services municipaux ne sont pas - ou peu - fournis. Certaines sont par endroits des égouts à ciel ouvert, d'autres prétendument «pacifiées» sont contrôlées par des trafiquants, et d'autres encore, comme celle-ci, sont des sortes de villages, disons, classe moyenne inférieure.

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Tout a été rasé à Vila Autódromo, donc, sauf une maison: celle de Delmo de Oliveira.

En fait, la sienne aussi a été démolie, mais il en a reconstruit une le mois dernier par-dessus celle de sa fille avec une ingénieuse structure en acier - il a travaillé dans les chantiers industriels de Petrobras. Mercredi, il a obtenu un ordre de la cour pour empêcher la démolition.

«Comme les juges sont en vacances pendant les Jeux, je suis tranquille pour l'instant.» Enfin, tranquille: il reçoit des menaces de mort régulièrement de ceux qu'il identifie comme les «milices», polices officieuses qui entendent «nettoyer» la ville.

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L'histoire de cette Vila Autódromo résume un bon bout du développement anarchique de Rio depuis 40 ans.

Nous sommes dans l'ancienne banlieue de Jacarepaguá, un des plus vieux villages de pêcheurs du pays. Delmo allait dans la lagune et en une heure et demie en sortait 120 kg de poisson.

Sur ces terres humides, impossible de se construire. Mais quand on a commencé à développer les beaux quartiers de Barra dans les années 70, on pouvait acheter pour pas cher des camions de terre excavée. On a ainsi peu à peu remblayé des bouts de la lagune. Un voyage de terre, deux voyages de terre... Et petit à petit, les gens s'y sont construits. À la fin, 3000 personnes vivaient là.

Les pêcheurs ont abandonné le poisson pour des métiers plus payants. «On pêchait de tout, dit Delmo. [Ici, mon interprète est incapable de traduire les 9 ou 10 espèces énumérées.] Jusqu'à ce que le gouverneur décide d'implanter le tilapia. Ça pond 5000 oeufs d'un coup et ça bouffe tous les poissons, le tilapia. Reste juste des tilapias.»

Il n'est pas conseillé d'aller y puiser son dîner, depuis qu'on a construit toutes ces tours chics de l'autre côté de la lagune, récemment. «Les égouts s'en vont là, vous avez senti?»

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Les résidants des favelas n'avaient au départ aucun titre légal, mais les autorités laissaient faire. L'enclave de Vila Autódromo est cependant plantée dans un site qui intéresse les «développeurs» depuis longtemps. Mais c'est aussi une communauté politisée.

Inava Mendes Brito s'est retrouvée là après les persécutions du régime militaire et l'exil de son frère (le Brésil a été une dictature de l'armée de 1964 à 1985, et Dilma Rousseff elle-même a été emprisonnée et torturée par le régime). Les décrets d'expulsion pour cause de «désastre visuel» ont été contestés avec succès depuis 1992. Une loi a ensuite reconnu le titre de propriété de toute personne occupant un terrain public depuis au moins cinq ans. On a même donné une protection supplémentaire à la Vila Autódromo: elle fut déclarée «zone d'intérêt social spécial».

Pas si spécial, finalement, vu qu'on n'a mis de côté que ces 20 maisons propres en vitrine.

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Delmo dit qu'il ne partira jamais. Mais à l'étage au-dessous, sa fille voudrait bien partir et prendre la compensation. Ah, à cause de ton père, on ne peut pas, lui dit-on. Ça fait des chicanes. «Mon étage est indépendant, regardez la structure d'acier, ils peuvent détruire en dessous, la mienne tient toute seule.» Il me fait monter l'escalier chambranlant. Le mur est encore à la brique et tout reste à faire. Mais des grandes fenêtres, on voit la lagune et les montagnes en forme de cône aussi bien que les gens des condos de l'autre côté.

«La piste passait juste là, c'était facile de se faufiler. Gilles Villeneuve? Bien sûr que je m'en souviens, mais j'aimais mieux [le Brésilien] Emerson Fittipaldi.»

Mais tout seul ici, perché au troisième, en face des 20 maisons-vitrines, c'est quoi l'avenir, Delmo?

«Je n'ai pas réussi à sauver ma communauté, mais j'espère que pour les prochains Jeux, ils écriront dans le contrat que la Ville doit respecter les droits des gens, ou juste la loi...»