Quand Marine Le Pen et Donald Trump se réjouissent d'un résultat référendaire, ça ne peut pas être une chose entièrement bonne.

« Ils veulent ravoir leur pays », a dit Trump, après l'annonce du vote favorable au Brexit.

Quoi, les Portugais s'enfuyaient-ils avec le Royaume-Uni ?

Il me semble que ce qui risque de faire éclater l'Europe politique et économique, qui n'est pas sans défauts, est un peu le contraire du progrès. On ne peut pas écarter ce risque-là en ce moment.

La livre sterling va bien finir par remonter, le libre-échange (une invention anglaise) ne mourra pas, les spéculateurs, investisseurs et autres qui capotent devant les cours de la Bourse depuis deux jours vont s'en remettre. Ils s'en remettent toujours.

En attendant, c'est tout de même une sacrée victoire pour les forces du repli, de la méfiance et, bien entendu, de la xénophobie. C'est tout de même la victoire des forces les plus réactionnaires. Des vieux nostalgiques.

C'est une défaite de la jeunesse britannique, massivement pro-Europe, et qui n'a pas peur d'une Europe pluraliste.

Bien sûr, autre chose viendra quand le Royaume-Uni sera vraiment sorti - il faut d'abord modifier des lois au Parlement britannique, négocier et décider quoi faire de dizaines de traités.

N'empêche : tout est ouvert en ce moment. Y compris la désagrégation d'une union qui est la réponse à des décennies de guerres entre nations.

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La beauté d'un résultat aussi serré, avec des enjeux aussi complexes, dans un pays multinational comme le Royaume-Uni, c'est qu'on peut y lire toutes sortes de choses.

Des fédéralistes qui s'opposent à la règle du 50 % + 1 pour déclarer l'indépendance du Québec disent respecter le choix du peuple. (Soyons sérieux, depuis le référendum écossais, le 50 % + 1 fait jurisprudence, pour peu que la question soit claire et reconnue.)

Des souverainistes québécois applaudissent parce que la « campagne de peur » des élites financières et politiques n'a pas réussi à faire gagner le « Remain ». Les mêmes ont dû oublier leur pèlerinage à Édimbourg, où ils espéraient qu'un « Yes » ferait souffler un vent de libération nationale jusqu'aux rives du Saint-Laurent. Les Écossais ont beau être nationalistes, ils sont furieusement européens. Le parti souverainiste écossais en particulier. Ce n'est sûrement pas parce qu'ils ont eu « peur » qu'ils ont voté pour demeurer dans l'Union européenne. Les Irlandais non plus.

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À part le fait qu'il fallait donner son accord à la rupture et que les banquiers étaient contre, ce référendum n'a rien à voir avec celui du Québec ou de l'Écosse. Je veux dire : ce n'est pas du tout la même chose de demander la création d'un État souverain ou l'appartenance à une union économique. Je ne vois pas ce qu'il y a de réjouissant pour un souverainiste québécois dans la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Je me souviens encore des envolées lyriques de Bernard Landry, du temps qu'il était chef du PQ, sur les vertus de l'union économique. Il avait évidemment raison : ce sont des pays souverains qui sont « unis » dans l'UE. Décider ou non d'y appartenir, même si cela comporte un partage de souveraineté, ce n'est pas du tout du même ordre. Tout comme les fédéralistes qui tentaient de faire un parallèle entre la fédération canadienne et l'Union européenne avaient tort et tordaient les concepts.

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François Legault, lui, voit dans le Brexit le « rejet du multiculturalisme ». Ce résultat est une « leçon » pour le Québec : il faut « mieux encadrer l'intégration des immigrants [et] rassurer la population ».

C'est pourtant devenu sa spécialité, depuis un bout de temps : faire peur au monde en parlant des immigrants.

Le chef de la CAQ met quand même le doigt sur un thème majeur de ce référendum, qui n'est ni la bureaucratie européenne ni la réglementation sur l'étiquetage de la laine, mais bien la crainte de l'étranger. Le sentiment, répandu partout en Occident, d'un ancien monde qui disparaît. D'un nouveau monde inconnu qui arrive sous la forme de marées humaines. Et dans lequel on ne se reconnaît plus. Tout ça pendant que les jobs se font rares et que les finances publiques sont en crise perpétuelle.

« Make America Great Again » de Trump, « Pour que vive la France » de Le Pen, c'est le même thème : on est dépossédé nationalement, dénationalisé, noyé dans le cosmopolitisme.

Non pas que l'Union européenne soit parfaite. Ou qu'on soit forcément réactionnaire pour vouloir en sortir. Ou que le Brexit soit une catastrophe irrémédiable.

Mais quelle que soit la rationalisation qu'on fasse, qu'on explique le désarroi économique comme ou voudra, un fait demeure : les pires forces de l'Europe triomphent aujourd'hui - et pas juste celles de l'Europe.