La loi n'était pas parfaite, alors il n'y aura pas de loi. Ainsi en ont décidé les sénateurs dans le dossier supposément très délicat de l'aide médicale à mourir.

Depuis minuit lundi soir, donc, les articles du Code criminel interdisant d'aider une personne à se donner la mort sont « inopérants ». Sauf au Québec, il n'y aura pas de cadre législatif au Canada pour mettre fin médicalement à la vie d'une personne.

Certains applaudissent : la Chambre haute, institution moribonde, retrouve sa vigueur d'origine, pose de bonnes questions et force la Chambre des communes à améliorer sa loi.

Maintenant qu'il n'y a plus de sénateurs « libéraux », en effet, ne comptez pas sur eux pour obéir aux ordres du gouvernement Trudeau. Ils sont indépendants.

J'ai quand même un sacré problème à voir une chambre de non-élus, aussi distingués soient-ils, venir bloquer un projet de loi urgent, aussi bonnes soient leurs raisons. Elles ne sont pas toutes bonnes, soit dit en passant, puisque certains sénateurs ont clairement fait savoir qu'ils sont carrément opposés à toute forme d'aide au suicide, quoi qu'en dise la Cour suprême.

N'empêche, il y avait ici une échéance à respecter, le gouvernement (élu) a écrit son projet de loi, la Chambre des communes (élue) l'a adopté... et c'est le Sénat qui dit : une minute, ce n'est pas à notre goût...

Est-ce vraiment ce genre de gouvernance politique qu'on veut ?

Même en acceptant en principe que le Sénat joue un rôle plus dynamique dans le processus législatif, voici un cas où il aurait dû s'effacer, vu l'échéance, vu les enjeux.

Quitte à imposer une révision de la loi à brève échéance - ce qui devrait être fait : le débat a été précipité par la décision de la Cour suprême et le changement de gouvernement.

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Tout le monde semble trouver absolument ingérable et mal foutu le concept de « mort raisonnablement prévisible », inclus dans le projet de loi C-14.

Il est vrai que c'est plus restrictif que ce que disait le jugement unanime de la Cour suprême. Mais on sort tout juste de l'interdiction absolue. Et seulement une poignée de territoires dans le monde permettent l'aide à mourir. Comme première réponse législative, C-14 n'est pas du tout aussi absurde qu'on a voulu le dire, ni « ingérable ». Le droit est plein de concepts difficiles à objectiver - la « personne raisonnable », la « limite raisonnable », etc.

Est-ce qu'il vaudrait mieux étendre l'aide médicale à mourir selon les termes de la Cour suprême ? Je crois que oui. Mais un gouvernement a le droit de choisir le cadre d'application d'une mesure nouvelle. Et surtout, mieux vaut une loi que j'estime perfectible que pas de loi du tout, vu l'échéance imposée.

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Qu'a dit la Cour suprême dans l'arrêt Carter, en février 2015 ? Qu'on viole la liberté et la sécurité des Canadiens gravement malades en criminalisant le consentement à mourir et l'aide à mourir.

Ces règles du Code criminel sont inconstitutionnelles dans la mesure où elles interdisent « l'aide d'un médecin pour mourir à une personne adulte capable qui (1) consent clairement à mettre fin à sa vie ; et qui (2) est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables (y compris une affection, une maladie ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables au regard de sa condition ».

Le gouvernement a ajouté dans ses mots la notion d'une mort prochaine. Je ne suis pas d'accord, je le répète, mais c'est tout de même en son pouvoir de dessiner la zone de permission.

Le reste des modifications au Code criminel est tout à fait correct : le malade doit exprimer sa volonté clairement ; devant deux professionnels de la santé ; avec des témoins indépendants ; un délai de 15 jours est nécessaire, etc.

Qu'on remette le sujet à l'ordre du jour législatif à l'automne, pour modifier la loi, ce serait une excellente idée. Mais dans l'état actuel des choses, on se dirige vers une absence de loi et un blocage législatif.

Croit-on vraiment que le gouvernement acceptera de se faire dicter des changements rapides par le Sénat ?

On me dira : les juges non plus ne sont pas élus. C'est vrai, et ils ne doivent pas l'être : ils sont les arbitres indépendants de la validité des lois, un pouvoir séparé constitutionnellement des deux autres.

Les sénateurs canadiens, nommés, sont des législateurs... De catégorie B : démocratiquement parlant, et constitutionnellement aussi, ce sont des parlementaires de seconde zone. Ils devraient agir en conséquence. Ils ne doivent pas s'estimer à égalité avec des députés.

Ils devraient donc user de leur pouvoir de blocage avec une extrême prudence.

En ce moment, ils soulèvent d'excellentes questions. Mais attention, ils pourraient y prendre goût... Et je vous prédis qu'alors, les idéaux de sénateurs indépendants vont prendre le bord assez vite.

Devant l'urgence, il faut adopter cette loi et poursuivre la réflexion pour la rendre meilleure - quand elle existera.