Je ne crains pas que ton crime demeure impuni, je crains de mourir avant ta punition. Ainsi parlait un Ancien qui croyait à la justice divine, réputée très lente à punir les vilains, comme on sait...

La justice des humains n'est pas nécessairement plus rapide. Mais parfois, elle arrive.

Vingt ans après avoir entrepris sa lutte contre les fondateurs de Cinar, Claude Robinson a appris qu'il avait vécu assez longtemps pour voir Ronald Weinberg emmené en cellule.

Vingt ans.

Il y a quelque chose qui tient du mythe dans cette affaire qui finit bien. Mais tellement, tellement tard.

Avant même le combat héroïque de Robinson, la première chose qui me fascine dans cette affaire, c'est l'avidité. L'amour névrotique du fric.

Songez que si Micheline Charest et Ronald Weinberg font un chèque à ce barbu qui prétend s'être fait voler son oeuvre, il n'y a pas de procès. Il n'y a pas d'enquête. Il n'y a pas de fraude. Ces gens valaient des millions, des dizaines des millions ! Pas grave. Ils trichaient pour obtenir des crédits d'impôt pour le « contenu canadien », avec des prête-noms. Ils volaient leur propre entreprise. Et, plus sublime encore, ils ont fini par détourner 120 millions de leur « bébé » vers un paradis fiscal.

Faut-il être con, mesdames et messieurs ? Eh non. Ces gens-là au contraire étaient supérieurement intelligents. Ils étaient seulement amoureux fous du pouvoir et de l'argent, personne ne les atteindrait jamais, surtout pas ce pouilleux...

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J'insiste : c'est parce qu'ils ont nié en 1996 toute paternité à Claude Robinson dans leur série d'animation Robinson Sucroé qu'ils l'ont eu sur le dos.

Et avoir Claude Robinson sur le dos, ça veut dire avoir un obsessif à vos trousses. Ça veut dire un gars qui a gardé tous ses reçus de taxi pour se rendre aux studios Disney présenter son concept dans les années 80... aidé par les fondateurs de Cinar. Ça veut dire un gars qui regarde des épisodes d'une série image par image (je rappelle qu'il y en a 24 par seconde !) pour trouver une fabrication - et qui la trouve.

Ça veut surtout dire, chemin faisant, un gars qui découvre l'histoire des prête-noms. Une fraude systématique de plus de 25 millions : l'entreprise avait des auteurs américains, mais empochait une petite fortune en « inventant » des auteurs canadiens.

Comme Cinar était cotée en Bourse, cet embarras a déclenché une enquête externe... Et c'est là qu'on a trouvé ce « trou » de 126 millions. Rien que ça !

Ces escrocs-là paient Robinson en 1996... Ils sont encore dans les affaires aujourd'hui, sans doute. Ils étaient insoupçonnables, ils étaient adorables, ils étaient au sommet du monde !

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L'autre chose qu'il ne faut pas oublier, c'est qu'une première enquête a été confiée à la GRC, qui a fait chou blanc. Il a fallu que la Sûreté du Québec décide de se saisir du dossier de fraude pour qu'enfin des accusations criminelles soient déposées.

Tout ça pendant que Robinson se battait contre Cinar et ses avocats devant la cour civile pour obtenir réparation, et jusqu'en Cour suprême (il a obtenu la plus grande partie de ce qui lui est dû, sauf pour l'importante portion française, en raison de subterfuges juridiques).

L'enquête criminelle a abouti, au moment où l'on n'espérait plus rien. Et hier, bang, un verdict de culpabilité. Le juge a immédiatement incarcéré Weinberg et ses acolytes financiers, vu les lourdes sentences probables (on peut croire autour de 10 ans, quand on considère les sommes et le précédent Vincent Lacroix, qui a écopé de 12, sur un maximum de 14).

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Il y a une joie à voir la justice rendue, après autant de délais et de mensonges.

Hier, le procureur de la poursuite a dit que ce verdict démontrait qu'on peut juger des affaires de fraude complexes devant jury.

Je pense qu'il faudrait plutôt tirer une leçon opposée. La cause a « survécu » à 22 mois de procédure. Il y avait 14 jurés au lieu de 12 (donc deux supplémentaires). Il en restait 11 à la fin. À moins de 10, c'était l'avortement de procès.

Si ce procès prouve une chose, c'est qu'il faut changer le système, pour ne plus infliger une telle somme de travail à des citoyens.

Aucune cause ne mérite l'attention d'un tribunal pendant 22 mois, avec ou sans jury. C'est totalement absurde. Que retenir du témoin du mois d'octobre 2014 ? De septembre 2015 ?

Bien sûr, l'affaire est hors norme. Elle n'en illustre pas moins, dans son côté presque caricatural, la profonde crise des délais de notre justice criminelle.

Le défi des responsables de cette justice est maintenant de limiter les débats et de ramener un peu de raison dans le calendrier judiciaire.

En attendant, je ne boude pas ma joie et je dis quand même (pas trop fort) : alléluia.