Toujours y réfléchir à deux fois avant de critiquer le directeur d'école de ses enfants sur Facebook. Mike Rossi, dit le Running Dad, s'en mord encore les doigts.

L'homme de la Pennsylvanie avait emmené ses enfants à Boston - toujours le troisième lundi d'avril - pour le voir courir son marathon. Leur absence de l'école a été jugée injustifiée par le directeur. Rossi ne l'a pas pris. Ce directeur ne comprenait rien à la valeur éducative du voyage, a écrit Rossi.

L'homme a attiré la sympathie partout, USA Today a repris son histoire, un public sympathique et indigné a partagé 32 000 fois l'histoire du « Running Dad ».

Jusqu'à ce qu'un justicier anonyme aille voir son temps de qualification, juste comme ça. Tiens, tiens... Officiellement, Rossi, 47 ans, se qualifiait amplement avec ses 3 h 11 min - il avait besoin de 3 h 25 min. Sauf que cette performance était totalement hors normes par rapport à ses autres résultats. Il avait couru 4 h 26 min l'année précédente. Un bond stupéfiant... Et bizarrement, dans l'obscur marathon d'Allentown où il s'était qualifié, on ne voyait ses photos qu'au début et à la fin. Le doute s'est installé. On l'a accusé d'avoir triché. Au point où un site spécialisé lui a offert 100 000 $ s'il court un autre marathon en 3 h 11 min. On attend toujours...

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L'histoire de Rossi a piqué la curiosité de Derek Murphy, un analyste financier de Cincinnati. Murphy a couru 10 marathons, loin de se qualifier pour Boston. Il sait ce qu'il faut pour retrancher une heure sur un marathon. Il s'est mis à fouiller au hasard sur des sites de marathons. Les courses, de nos jours, sont très documentées : on voit souvent des temps de passage au demi et parfois à d'autres points de contrôle, grâce aux puces électroniques dont sont munis les coureurs. Il est donc assez facile de détecter des anomalies. Comme cet inconnu qui a couru les 10 derniers kilomètres d'un marathon à la vitesse du record du monde... (J'ai fait l'exercice et j'ai trouvé un jeune homme à Montréal ayant couru les 10 derniers kilomètres en 14 minutes, deux fois plus vite que le champion du monde... Étonnant !)

Murphy se passionne depuis l'été dernier pour la tricherie de marathon. Il a construit un algorithme pour repérer des suspects. Il a passé en revue tous les temps du marathon de Boston 2015 et mis de côté tous ceux qui avaient couru plus de 20 minutes plus lentement que leur temps de qualification. Boston étant en ligne droite, avec des tapis de contrôle à chaque kilomètre, il est pratiquement impossible de tricher à moins de prendre le train. Un coureur ayant un temps beaucoup plus lent que son temps de qualification peut avoir mille raisons : méforme, mauvaise température, etc. Mais s'il a triché en se qualifiant, il risque d'être dans ce paquet. Murphy va ensuite sur le site du marathon de qualification et cherche des anomalies.

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« J'en ai prouvé avec certitude 53 à ce jour », m'a-t-il dit au téléphone jeudi.

Image tirée de Facebook

Mike Rossi a emmené ses enfants à Boston pour le voir courir son marathon et a attiré la sympathie pour avoir défendu leur absence de l’école. Son temps de qualification, hors normes par rapport à ses autres résultats, a toutefois soulevé des doutes chez les coureurs.

Photo Winslow Townson, archives USA Today Sports

Le trajet du marathon de Boston étant en ligne droite, avec des tapis de contrôle à chaque kilomètre, il est pratiquement impossible de tricher. Si un marathonien a triché en se qualifiant, il terminera sa course en un temps beaucoup plus long que son temps de qualification.

Sur 26 000 qualifiés, ce n'est pas gigantesque. Mais tout de même !

Dans plusieurs cas, quelqu'un a fait courir sous son nom une « mule » pour obtenir sa qualification dans un quelconque marathon et a utilisé ce temps pour aller à Boston. « Un type courait avec trois dossards dissimulés ! » D'autres trouvent un marathon de campagne et coupent à travers champ. Un couple, les Donnely, est célèbre pour ses résultats frauduleux - ils retranchent une heure de leurs temps en coupant dans le parcours d'obscurs marathons. Le marathon du Mont-Saint-Michel soulève des doutes depuis que six coureurs fantômes - on ne voit aucune photo d'eux - se sont qualifiés et ensuite rendus à Boston.

« Ils font ça pour le statut, j'imagine, pour se promener avec la veste de Boston quand ils reviennent courir avec les amis », dit Murphy, qui ne publie pas les noms sur son site (Marathon Investigation). Il se contente d'aviser les organisateurs de courses.

Dites-moi, Derek, est-ce vraiment nécessaire ? Toute cette énergie ? C'est pas un peu bizarre comme passe-temps, détecter ces pauvres tricheurs ? Je veux dire : à peine moins bizarre que de couper un parcours...

« Bof, je fais ça quand ma femme et mes enfants dorment, je pourrais faire bien pire... Je ne fais pas ça dans la colère, des fois, c'est franchement drôle, même. Ces gens qui changent de t-shirt pendant la course, d'autres qui sont connectés avec leur GPS et qui publient leurs "vrais" résultats sans le savoir. Un gars a été trahi par son application : ça disait 34 km. Tout ce que je veux, c'est qu'on sache que quelqu'un veille... »

Avis soit donc donné aux coureurs de 2016 qui ont oublié des bouts de course : la police du chrono entend raffiner son algorithme et traquer les tricheurs jusqu'aux confins du Wyoming ou de la Roumanie...