Le contraste est à nouveau frappant. À un mois de distance, la Cour suprême des États-Unis et celle du Canada se retrouvent à court d'un juge. Tandis qu'aux États-Unis, la nomination du futur juge donne lieu à un combat politique féroce, au Canada... à peu près personne n'a noté l'annonce de la retraite de Thomas Cromwell.

C'est une occasion de noter que le judiciaire ici n'est pas un champ de bataille politique comme aux États-Unis. Tant mieux. Si un président américain avait eu l'occasion, comme Stephen Harper, de nommer sept des neuf juges de « sa » Cour suprême, l'impact aurait été immense. Tout le monde à Washington calcule les conséquences de la nomination d'un juge modéré pour remplacer le très « littéraliste » et conservateur Anthony Scalia, mort subitement en février.

Au Canada, au contraire, malgré la controverse autour de la nomination annulée du juge Marc Nadon, il n'y a eu à peu près aucun débat autour des nominations à la Cour suprême. Le bon côté de cette indifférence est que l'institution judiciaire n'est pas autant perçue comme un avant-poste politique pour faire avancer ou reculer des causes, comme aux États-Unis, où les conservateurs désespèrent de faire casser la décision légalisant l'avortement.

Cette cour composée majoritairement de juges nommés par Stephen Harper a donné tort à son gouvernement dans presque tous les dossiers délicats : Omar Khadr, la prostitution, le suicide assisté, une commission « nationale » des valeurs mobilières, la réforme du Sénat, etc.

Le moins bon côté de cette indifférence politique est qu'on a fini par abandonner totalement tout processus un peu transparent pour nommer ces magistrats qui exercent un pouvoir considérable, comme le montrent les sujets que je viens d'énumérer.

Justin Trudeau a promis de rétablir un processus « transparent, inclusif et responsable ». Il a une occasion parfaite pour montrer ce qu'il voulait dire. Le juge Cromwell s'en va à la fin de l'été. On a donc amplement le temps.

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Il n'est pas question au Canada d'un processus de « confirmation », sur le modèle de la Constitution américaine : le président nomme un candidat, et le Sénat, après des audiences publiques, vote pour confirmer ou non le choix. La plupart des candidats sont confirmés, mais les républicains (majoritaires) ont annoncé qu'ils refuseraient de voter sur un candidat choisi par Barack Obama - avant même qu'il ne désigne le très respecté Merrick Garland. Il est absurde de laisser une institution aussi importante à court d'un juge, mais telle est l'ampleur de la politisation judiciaire.

Ici, c'est le gouvernement qui nomme les juges, sur recommandation du premier ministre et du ministre de la Justice. C'est donc dans la sélection qu'on s'attend à une forme de contrepoids pour rendre le processus plus crédible.

Paul Martin avait institué un processus de sélection avec un très large comité composé de juristes et de parlementaires - les politiciens y étaient minoritaires. Le ministre de la Justice soumettait une liste de huit noms, parmi lesquels le comité choisissait trois candidats. C'était ensuite au premier ministre de faire le choix définitif.

Le juge désigné était ensuite soumis à une séance de questions à la Chambre des communes. Un exercice qui n'avait aucune portée juridique, mais qui permettait tout de même de présenter le candidat.

Au fil des ans et des urgences, on a « simplifié » le processus. Les conservateurs, qui avaient les premiers réclamé un processus ouvert, ont réduit le comité à cinq députés - avec une majorité de conservateurs. Malgré la présence de partis de l'opposition, le comité a semblé travailler dans une relative harmonie et choisir des candidats de consensus. Jusqu'à ce qu'arrive l'affaire Nadon : cette fois, les conservateurs avaient carrément imposé un candidat marginal qui n'était sur aucune liste sérieuse. Et qui en plus, a dit la Cour suprême, ne pouvait légalement être nommé comme juge « québécois », étant membre de la Cour fédérale.

Ulcéré par ce résultat désastreux et les fuites, Stephen Harper a carrément aboli ce comité. Si bien que la dernière juge nommée, Suzanne Côté, l'a été après des « consultations du milieu » comme dans le bon vieux temps.

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Justin Trudeau doit maintenant choisir un candidat d'une province de l'Atlantique, selon la tradition. Il a promis qu'il serait bilingue. Et il a dit qu'il aurait un souci particulier pour l'égalité des sexes et la représentation des minorités et des Premières Nations - il y a actuellement cinq hommes et quatre femmes à la Cour suprême.

Il doit surtout instaurer un processus crédible de sélection.

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Une fois qu'il aura fait ça pour la Cour suprême, ce qui n'est pas très compliqué, il restera à faire le plus important : réformer le mode de nomination de tous les juges fédéraux.

En règle générale, malgré les critiques, les réserves et l'opacité du mode de sélection, les nominations de juges de la Cour suprême sont relativement consensuelles. C'est loin d'être le cas aux autres tribunaux fédéraux : Cour d'appel, Cour supérieure, Cour de l'impôt, Cour fédérale. Actuellement, le gouvernement fédéral choisit parmi une vaste banque de candidats déclarés « aptes » par un comité. Une liste de plusieurs dizaines de personnes, qui demeurent dans la « banque » pendant deux ans - renouvelables. On aura compris qu'il y a largement place aux préférences politiques ou autres et qu'on est loin d'une parfaite méritocratie. Non pas que les résultats soient catastrophiques. La moyenne est même très bonne. Simplement, puisqu'on « est en 2016 », on peut faire mieux.

Plusieurs provinces, dont le Québec, ont un mode de sélection plus serré. Un comité indépendant choisit les trois meilleurs candidats pour chaque poste et le ministre de la Justice est obligé de choisir dans cette liste - ou d'annuler le concours.

Le gouvernement Trudeau a ici une superbe occasion de montrer que la compétence pour les nominations est une priorité.

Photo Jeff McIntosh, La Presse Canadienne

Justin Trudeau a promis de rétablir un processus de nomination « transparent, inclusif et responsable ». Il a une occasion parfaite pour montrer ce qu’il voulait dire, écrit notre chroniqueur.