Quand on est rendu à fixer des procès en 2019, c'est que le système de justice criminelle est malade.

Deux ans, trois ans, quatre ans pour être jugé, c'est beaucoup trop long pour les accusés, pour les victimes, pour les témoins, pour les policiers et pour le public. Tout le monde doit pouvoir s'attendre à ce que les crimes soient jugés dans un délai humainement raisonnable. En ce moment, on regarde les affaires se dilater, se liquéfier, se gazéifier...

Quand la juge responsable du plus important district judiciaire au Québec dit que le système de justice criminelle « ne fonctionne plus », il faut prendre ça au sérieux.

La juge en chef adjointe de la Cour du Québec à Montréal, Danielle Côté, n'en « dort plus », comme elle l'a dit à ma collègue Caroline Touzin samedi. La Cour du Québec entend à peu près toutes les affaires criminelles sans jury au Québec.

Mais la Cour supérieure, où sont entendus les procès avec jury, est aussi en crise. Le juge en chef de la Cour supérieure, Jacques Fournier, nous dit qu'il manque de juges, de salles et de personnel. Sans doute que dans l'immédiat, ça ne nuirait pas. Mais le problème est beaucoup plus profond.

Le système de justice vit à une autre époque.

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C'est de peine et de misère qu'on a accouché d'une réforme de la justice civile, qui vient tout juste d'entrer en vigueur. Sur papier, tout concourt à simplifier les dossiers, à limiter les actes de procédure et à contrôler le temps des dossiers. On verra ce que ça donnera, mais du moins, on a entrepris un virage.

Pendant ce temps, la justice criminelle est restée dans le siècle passé.

Tout se passe comme si le temps de la cour était illimité. Ce temps devrait pourtant être géré avec un souci maniaque. Mais il a l'air gratuit.

Chaque minute de retard, dans un horaire qui ne va que de 9 h 30 à 16 h 30, avec une longue pause le midi, devrait affoler tout le monde. Mais non, il reste toujours du sable dans le sablier, et s'il n'en reste plus, il en reste encore...

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Le temps de la justice sera toujours plus lent. Il faut décortiquer les faits, reconstituer une réalité ancienne, vérifier et contre-vérifier. Ça ne veut pas dire que personne ne doit tenir le chronomètre !

La juge Côté a raison : la culture juridique doit être changée en profondeur. Les droits ont beau être constitutionnels, ils ne sont pas illimités. Et la première chose à faire, c'est d'établir des limites.

Limites dans la durée de présentation de la preuve, qui doit être organisée ; limite dans la durée de la défense ; limite dans les travaux de la cour.

Ça veut dire exiger une meilleure organisation. Ça veut dire aussi aller à l'essentiel. Ça peut vouloir dire aussi faire disparaître complètement les enquêtes préliminaires, sortes de répétition générale du procès. Elles sont devenues désuètes, à peu près inutiles avec l'obligation de divulguer la preuve.

Mais ça veut surtout dire arrêter de penser que chacun a droit à la présentation de ses arguments jusqu'à l'évanouissement de tout le monde dans la salle.

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La durée des affaires, leur annulation de dernière minute, les reports incessants, tout ça est pénible. Mais quand en plus on fait subir l'archaïsme du système à des citoyens pris au hasard, ça devient franchement inacceptable.

Le concept même de mégaprocès a quelque chose d'aberrant. Quel problème humain peut nécessiter un an d'explication ? Même si l'on décidait d'expliquer la théorie de la relativité à 12 citoyens choisis au hasard, on en viendrait à bout plus rapidement. Les procès de six mois, huit mois, un an... et plus nécessitent-ils vraiment autant de semaines ? Rarement.

Comment tolérer qu'on inflige à 12 jurés un exercice au bout duquel ils auraient raison d'avoir oublié ce qui s'est passé le premier jour ?

Ronald Weinberg, ancien dirigeant de Cinar, a avec d'autres un procès pour fraude devant jury depuis le mois de mai... 2014 ! Pour accommoder tout le monde, on fait relâche le vendredi. Fort bien, mais ça veut dire que le procès dure 20 % plus de semaines. Ça veut dire que les risques augmentent : déjà 3 des 14 jurés sont partis pour cause de maladie ou d'accouchement... Et ça continue.

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Quand bien même on embaucherait plus de juges, on ne ferait qu'encourager l'inefficacité judiciaire. Tous les acteurs du système doivent serrer la vis - ou se la faire serrer.

Pour l'instant, la barque semble voguer à la dérive au gré des vents et des courants.