Jeudi, la Cour suprême est venue remettre les choses en ordre en matière d'ivresse au volant.

Je ne m'en réjouis pas seulement parce qu'elle a augmenté une peine de prison d'un chauffard. Mais surtout pour les raisons qu'elle a données. Une sorte de retour à l'essentiel.

Je vous ramène à la fin du printemps 2011. Une belle nuit du mois de juin. Un rang de campagne en Beauce. Nadia Pruneau a eu 18 ans la veille. Son amie Caroline Fortier, 17 ans, avait fêté avec elle. Elles étaient dans la voiture de Tommy Lacasse, un gars de 20 ans.

Lacasse roule à 130 km/h dans un virage. Dérapage. La voiture fait des tonneaux. Quand elle s'arrête, les deux adolescentes sont mortes.

Lacasse avait fumé un joint de pot et bu assez de bière et de vodka pour dépasser la limite permise.

Il s'avoue coupable en 2013 de conduite avec facultés affaiblies causant la mort.

Quelle peine lui infliger ? Ce jeune homme, de toute évidence plein de remords au point d'en être suicidaire un temps, n'avait jamais commis de crime auparavant. Il a trois condamnations pour excès de vitesse, par contre. Il travaille au garage familial.

Il a tout de même fauché deux vies. On n'a de cesse de répéter à quel point on prend au sérieux l'alcool au volant. La preuve : la peine pour ce crime a été augmentée en 2000. La peine maximale jusque-là était de 14 ans, c'est maintenant l'emprisonnement à perpétuité.

Bien sûr, le maximum n'est réservé qu'à des récidivistes. Tout de même, c'est un signal assez clair : la loi range ce crime dans la catégorie de l'homicide. C'est un des crimes les plus graves.

Le juge Hubert Couture a infligé une peine de six ans et demi à Lacasse. Il a surtout insisté sur la nécessité de l'exemple, sur la « dénonciation » du crime, bref il a penché du côté de la sévérité.

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La Cour d'appel du Québec a grondé le premier juge. Le plus haut tribunal au Québec a en effet adopté des « fourchettes » en matière de conduite avec facultés affaiblies causant la mort. On a séparé les cas en trois catégories. Pour les affaires où tout favorise l'accusé, on suggère une peine de 18 mois à trois ans ; pour celles où la « dissuasion » et la « dénonciation » l'emportent sur les facteurs personnels de l'accusé : de trois à six ans. Et finalement, six à neuf ans lorsqu'on « s'approche du scénario des pires affaires ».

Cette approche des « fourchettes », même si, en principe, elle n'est pas rigide, est très critiquable. Il ne s'agit que d'une moyenne des affaires passées. D'autres cours d'appel dans d'autres provinces ont des fourchettes différentes, d'autres rejettent ce concept. Après tout, la loi ne prévoit qu'un maximum ; on n'est pas comme dans bien des cas aux États-Unis où le juge doit suivre des « lignes directrices ».

En plus, je viens de le dire, la loi a changé en 2000. Faire passer le maximum de 14 ans à la perpétuité, ce n'est pas rien ! Ça veut dire qu'on pourrait infliger 16, 18, 20 ans... Dans des cas très graves qui ne seraient même pas « les pires ».

Mais tout se passe comme si cette modification n'avait été que cosmétique. On continue à fonctionner avec des moyennes établies avec des jugements qui précèdent ce changement.

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Quoi qu'il en soit, la Cour d'appel a ramené la peine de Lacasse à quatre ans.

La Cour d'appel dit et redit qu'elle n'intervient pour changer une peine que si le juge a commis une erreur de principe majeure, ou si la peine est totalement disproportionnée. Dans ce cas, on reproche au juge Couture d'avoir pris comme facteur aggravant le fait que Lacasse était ivre. C'est évidemment redondant : c'est précisément ça, le crime. On lui reproche aussi d'avoir dit qu'en Beauce, le problème de l'alcool au volant est une sorte de fléau. Mais une fois qu'on a noté cette faute de logique et ce commentaire statistiquement discutable, qu'y a-t-il de plus rationnel à fixer la peine à quatre ans plutôt qu'à six et demi ? Si j'ai bien lu les fourchettes, six et demi... c'est quasiment six, donc presque dans la même catégorie, non ?

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Jeudi, la Cour suprême est venue rétablir la peine d'origine. Même si le juge a fait quelques erreurs, son raisonnement est tout à fait légitime. La mort de deux personnes dans la fleur de l'âge, la vitesse absurde... Si la loi veut dire quelque chose, une peine de six ans et demi est parfaitement valide.

Comme le suggère le juge Richard Wagner pour la majorité de la Cour suprême (deux juges sont dissidents), ces « fourchettes » rigides frisent l'usurpation de pouvoir. Ce n'est pas aux cours d'appel d'établir des catégories d'infraction et de substituer leur opinion à celle des juges qui entendent les causes. Ou à récrire le Code criminel, qui est du ressort du Parlement.

J'ajouterais que 15 ans plus tard, il était temps que le message soit lancé : la loi a changé, ce crime est très grave.