Quoi faire avec un juge qui n'est pas coupable... mais qu'on ne croit pas ?

Le juge Michel Girouard, menacé de destitution depuis jeudi, est nommé par le gouvernement Harper à la Cour supérieure en Abitibi en 2010, après avoir été avocat pendant 25 ans.

À cette même époque, la Sûreté du Québec enquête sur le trafic de stupéfiants à Val-d'Or et dans les environs. L'opération Écrevisse mène à l'arrestation de dizaines de personnes en 2012. L'un des accusés, devenu « repenti », déclare que Michel Girouard, alors avocat, lui a acheté pour environ 100 000 $ de coke entre la fin des années 80 et le début des années 90. Le juge ne sera accusé d'aucun crime, mais le Directeur des poursuites criminelles et pénales transmet l'information au juge en chef de la Cour supérieure, François Rolland. Celui-ci demande l'ouverture d'une enquête au Conseil canadien de la magistrature. On forme un comité de deux juges et un avocat (tous de l'extérieur du Québec) pour entendre l'affaire en public.

Le trafiquant-délateur n'a manifestement pas impressionné le comité, qui a écarté totalement son témoignage.

En fait, le comité rejette toutes les accusations déontologiques portées contre le juge. On est incapable de prouver qu'il a consommé de la drogue de manière régulière ou même épisodique, qu'il a eu des liens avec des membres d'une organisation criminelle ou qu'il avait une mini-serre dans son sous-sol.

L'affaire est donc close ?

Pas vraiment. Une séquence vidéo de 18 secondes pourrait mettre fin à la carrière du juge Girouard.

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Cet extrait provient d'une vidéo de surveillance captée dans l'arrière-boutique d'un club vidéo de Val-d'Or.

La scène se déroule en 2010, deux semaines avant la nomination du juge Girouard. On voit l'avocat Girouard entrer dans le bureau du propriétaire, un certain Yvon Lamontagne.

Me Girouard glisse une liasse de billets sous un sous-main sur le bureau de Lamontagne. Celui-ci lui remet « un objet ». Il semble que ce soit un papier roulé. Plus tôt, en effet, on a vu Lamontagne placer une substance sur un « Post-it », le rouler, en boucher les bouts et le mettre dans sa poche.

Ce Lamontagne est une des cibles du projet Écrevisse - il a été condamné à neuf ans de pénitencier pour trafic de marijuana. À l'époque, c'était aussi un client de Girouard pour une affaire d'impôt.

En soi, la vidéo, muette, n'est pas concluante. Mais tout ça est louche. Surtout, les explications du juge ont été tellement bizarres et pleines de contradictions que deux des membres du comité estiment qu'il n'a pas l'intégrité nécessaire pour siéger.

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Lamontagne comme le juge (suspendu depuis bientôt trois ans) ont témoigné. Lamontagne dit que l'argent servait à payer des films. Ce qu'il a pris dans sa poche pour le donner à son avocat ? Il n'est pas certain. Peut-être une facture pour les films. Ce qu'il a roulé dans un Post-it ? Des médicaments qu'il voulait protéger...

Le juge dit que sur ce papier était notée la somme que Lamontagne était prêt à verser pour régler sa cause avec le fisc, ainsi que le nom d'un prêteur. L'argent ? Pour payer les films pour adultes qu'il achetait. Pourquoi pas à la caisse ? Parce que c'étaient des films pour adultes... Pourquoi dissimuler l'argent ? Il ne voulait pas que les billets se perdent. À une autre occasion, il a dit que, sachant la réputation de trafiquant de Lamontagne, il ne voulait pas être vu en train de lui remettre de l'argent.

Tout ceci est plutôt étrange. Si ce « papier » contenait une information importante, pourquoi l'a-t-il mis dans sa poche sans même le regarder ? Dans un premier témoignage, il disait que ce « papier » disait : « Je suis sous écoute, je suis filé ». Oui, mais... il ne l'a pas lu.

Tous ces faux-fuyants, pour ne pas dire mensonges sous serment, sont indignes d'un juge, qui doit avoir une conduite « irréprochable » et intègre, ont conclu deux membres du comité jeudi dernier. Tout ceci « manque tellement de crédibilité » que la confiance du public en ce juge sera ébranlée à jamais. Ils recommandent sa destitution.

Un membre dissident estime quant à lui qu'on ne peut pas d'une part écarter toutes les accusations et tenir le juge responsable d'une faute (un témoignage imparfait, comme ils le sont tous) qui ne lui est pas reprochée.

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Le Conseil de la magistrature, composé des juges en chef de partout au Canada, devra trancher et faire sa recommandation au ministre de la Justice.

Les discussions risquent d'être corsées. Comment destituer un juge contre qui on n'a retenu aucune infraction ? Ses avocats ne manqueront pas de le plaider.

C'est mal poser le problème. Je suis parfaitement d'accord avec la majorité. Si le témoignage d'un juge est à ce point non crédible, c'est qu'il tente de tromper ses propres juges. C'est qu'il n'a pas l'intégrité requise.

Ce n'est pas un procès criminel où l'absence de preuve suffisante permet d'acquitter l'accusé et de classer le dossier. Là, on peut utiliser « tous les trucs du livre » pour éviter la condamnation.

En matière de déontologie, tous les coups ne sont pas permis. Il ne suffit pas de s'en tirer parce que la preuve est trop faible au sujet des fautes de drogue. En particulier pour un juge, c'est le comportement et le sens éthique qui sont en jeu. On s'attend à ce qu'ils soient impeccables, y compris dans sa façon de se défendre.

Si en se défendant, le juge se révèle malhonnête, trompeur dans ses réponses, il n'a plus sa place dans la magistrature. Il s'est exclu lui-même.