Cinq semaines après la fin en queue de poisson du dossier SharQc, c'est un coup assez fumant que d'arrêter le boss des trois piliers de la pègre québécoise.

Mais le gâteau va-t-il encore s'effoirer en sortant du four judiciaire ?

Le ministère public n'a pas vraiment droit à l'erreur, cette fois. Les procureurs n'ont plus l'excuse de la nouveauté, de la surprise. Après Printemps 2001, Colisée contre la mafia et SharQc, c'est la quatrième opération au Québec contre de hauts dirigeants du crime organisé.

Cela dit, à l'oeil nu, on voit tout de suite que si les noms sont impressionnants, cette enquête n'a rien de comparable à SharQc, qui visait 22 meurtres sur 20 ans et des années de trafic de stupéfiants, le tout visant 150 accusés...

Cette fois, les faits se déroulent de 2013 à 2015. Oublions le complot pour meurtre qui vise trois personnes (dont l'ex-chef motard emprisonné à vie Maurice Boucher). Les accusations visent trois groupes de 21, 18 et 8 personnes. Elles sont assez classiques et ne s'appuient pas sur une théorie compliquée de complicité. Donc pas du tout la même envergure.

Ça devrait donc être beaucoup plus homogène et plus facile à gérer. On n'aura pas des dizaines d'enquêtes à coller ensemble et des camions de preuve à communiquer à la défense. Les risques de dérapage sont limités.

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SharQc avait un côté politique - pas au sens partisan du terme. Il fallait envoyer le message fort qu'on n'allait pas laisser les Hells Angels devenir un État dans l'État. Les deux immenses rafles en huit ans (Printemps 2001 et SharQc en 2009) avaient un aspect hygiénique, socialement parlant.

Il faut maintenant convaincre le citoyen qu'on peut accuser efficacement les dirigeants du crime organisé. Aboutir. Obtenir un résultat important. Des accusations plus ciblées peuvent mettre hors jeu les chefs de la pègre mieux qu'une pluie d'accusations énormes qui n'aboutissent même pas à un procès.

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Ce qu'il y a de spectaculaire dans les arrestations d'hier, c'est qu'encore une fois, on accuse les têtes dirigeantes des organisations criminelles. Avant la création des grandes escouades mixtes d'enquête, rarement on parvenait à accuser ou à faire condamner les chefs.

Et là, paf, la tête de chacune des trois principales organisations criminelles est arrêtée. Les trois en même temps : mafia, motards, gangs de rue. C'est un énorme coup.

On sait depuis longtemps par des analyses policières que le trafic de stupéfiants s'est organisé autour d'une sorte de triade formée par ces trois groupes-là. Chacun a son rôle dans la chaîne qui part du financement à la revente dans la rue, en passant par l'importation et la distribution. Il y a les financiers, les grossistes et les petits détaillants.

Ces arrestations arrivent au moment où les Hells Angels, qui sortent de prison un à un, sont en train de se réorganiser partout au Québec - on se demande d'ailleurs comment il se fait que personne n'ait tenté sérieusement de lancer une initiative juridique pour rendre cette organisation illégale.

Dure journée, question business.

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Autre élément majeur : l'accusation de l'avocat Loris Cavaliere et de son associé Leonardo Rizzuto - le fils du défunt parrain Vito.

Le cabinet faisait l'objet de rumeurs depuis très longtemps, par sa clientèle et parce que deux des enfants du parrain y étaient associés. Mais jamais accusé.

Depuis longtemps, aussi, la police soupçonne qu'il se sert de sa firme comme d'un « bouclier » pour organiser des complots.

On devine que les gens qui entrent et sortent du bureau d'un criminaliste sont souvent... des criminels. Les conversations entre un avocat et son client sont couvertes par le secret professionnel. Sauf si ces conversations consistent à comploter pour commettre un crime. On sait très bien que des avocats profitent du statut de protection de la loi pour faciliter des activités criminelles.

Mais comment le prouver ? Vu l'importance du secret professionnel, il est très difficile d'obtenir un mandat d'écoute ou de perquisition visant un avocat. Difficile, mais pas impossible.

On a eu l'impression que souvent des opérations policières légitimes contre des avocats n'ont pas eu lieu parce que des procureurs étaient trop frileux.

Par contre, l'historique des causes d'avocats accusés devant la cour criminelle n'est pas particulièrement glorieux, y compris dans des cas qui semblaient « évidents ». Le taux d'acquittement est particulièrement élevé chez cette catégorie d'accusés. Et une des raisons est l'empressement ou la surexcitation des policiers désireux d'accuser des avocats réputés « croches ».

Si le dossier est solide, ça pourrait rendre un ou deux confrères un peu nerveux. Le message est envoyé : le bouclier n'est pas totalement invincible...