La lettre d'excuses est un genre littéraire exigeant.

Tout l'art de l'excuse officielle consiste à donner l'impression d'un maximum de remords en offrant un minimum d'aveux.

« Je profite de l'occasion pour m'excuser sincèrement auprès des gens que mon comportement aurait offusqués », écrit Marcel Aubut (ou son cabinet de relations publiques) dans le communiqué annonçant sa démission du Comité olympique canadien.

Il faut rester vague quant à ceux à qui on s'adresse : « les gens » - pas « les femmes » que j'ai harcelées, ou qui se sont senties harcelées. Non, « les gens ». Il est préférable aussi d'utiliser le conditionnel. Après tout, rien n'a été prouvé en cour : des gens qui « auraient » été offusqués. Une excuse savamment ciselée laisse planer un doute : y a-t-il eu faute, ou est-on en présence de « gens » un peu susceptibles ? Peut-être (on n'est pas sûr) que des gens (on ne sait pas qui) ont été choqués...

Me Aubut le reconnaît sans détour : « Mon attitude a pu être perçue comme discutable auprès de certaines personnes de la gent féminine. »

L'attitude « a pu » être perçue... C'est une réelle possibilité, il l'admet, si, si.

Avez-vous dit « discutable » ?

Mais non, Me Aubut, l'attitude a été jugée proprement vulgaire, harcelante, dégradante. Pas du tout discutable. Discutable, ça fait « matière à débat ». Certains sont pour le pognage de cuisses des adjointes, d'autres sont d'un avis différent. C'est discutable !

Je n'ai jamais entendu une femme dire : mon patron n'arrête pas de me dire que j'ai des beaux seins, me semble que c'est discutable, ça, comme attitude ?

Et puis... « des personnes de la gent féminine » ? Il parle drôle, dans ses communiqués, Me Aubut. Ça fait très XVIIIe tout d'un coup, ça, « gent féminine ».

Mauvaise nouvelle, Me Aubut : y a pas que des femmes qui trouvent ça « discutable ».

* * *

Certains nous disent, avec un rien de nostalgie dans la voix, que « maintenant, ces choses-là ne sont plus acceptables ». C'est un travers générationnel, en somme. Il suffit avec Marcel Aubut d'en user comme avec son ordinateur : une p'tite mise à jour et hop ! La version 2015 arrive.

Son nouveau bureau d'avocats, BCF, a d'ailleurs mandaté les meilleurs spécialistes dans le domaine pour l'accompagner dans sa transformation. On souhaite bonne chance au chaperon de Marcel Aubut.

Mais le harcèlement sexuel, la vulgarité gluante, ça n'a jamais été acceptable, ni en 1950 ni en 2015. Les hommes de 70 ou 80 ou 90 ans que je connais ne sont pas des Marcel Aubut.

Ce qui a changé, c'est que des femmes parlent. Nomment les choses.

Non, ce n'est pas un compliment de se faire dire jour après jour par son boss : t'as un crisse de beau cul, quand est-ce que tu lâches ton chum, viens donc coucher avec moi. C'est un abus de pouvoir, une appropriation, une dégradation.

Tu te plains, ou pas ? C'est pas une agression sexuelle, après tout. C'est des mots... Des gestes pas si clairs... Plein de femmes haussent les épaules et envoient promener le patron. Mais toutes n'ont pas cette force-là, ou ne sont pas dans la position de le faire. Il t'arrive quoi, si tu te plains ? Si tu dis seulement : arrêtez ? C'est quoi, le risque ?

J'écoutais cette ex-adjointe de son bureau d'avocats à Tout le monde en parle raconter sa convocation dans une salle de conférence où Marcel Aubut l'attendait en caleçon. Et ses commentaires, jour après jour...

Ils lui ont fait un beau chèque de 10 000 $ pour qu'elle se la ferme. Je me demande combien elle a fait en heures sup non rémunérées...

Ah, ils lui ont bien réglé ça, y a pas à dire.

Ce qui arrive à Marcel Aubut est le résultat de gestes et de mots sédimentés au fil des ans en un énorme tas d'abus de pouvoir à la petite semaine sous couvert de flirt innocent et d'exubérance bon enfant.

S'il n'a pas arrêté, c'est qu'il en avait le pouvoir. Et qu'on le lui a laissé.

Le pouvoir, bébé, juste le pouvoir.