Je suis un peu déçu, j'imaginais Denis Coderre aux commandes d'une immense pelle hydraulique bien jaune. Je le voyais déjà scrouncher la dalle de Postes Canada.

Vrrrram ! Go, Denis !

Bon, le marteau-piqueur, c'est tout de même agréable, quoiqu'un peu moins jouissif (j'ai cru sentir la nervosité des contremaîtres qui encadraient le maire, manifestement peu rompu à l'art du cassage de béton).

Il y a, avouons-le, un réel plaisir à voir l'arrogance cimentée de Postes Canada voler en éclats, même si c'est par petits copeaux. Qui n'est pas dans Équipe Coderre ? Le maire, qui se sait le politicien le plus populaire au Québec, a choisi le lieu et l'heure. Une installation dans un « parc-nature », en pleine campagne électorale !

Mais soyons sérieux. Au risque de casser le party, un maire, même un super-maire, super-sympathique, qui a raison et tout, ne peut pas vraiment commencer à faire ça.

La loi donne à Postes Canada le pouvoir de construire des boîtes postales partout sur le domaine public. Ça inclut les abords des parcs et même « la voie publique ». C'est un pouvoir exorbitant, semblable à celui permettant d'installer des voies ferrées. On comprend que si le tracé des chemins de fer et l'installation des boîtes postales étaient soumis à l'approbation des autorités locales, le courrier et le train ne seraient peut-être pas encore arrivés partout au pays.

Sauf que ces pouvoirs du XIXe siècle devraient être utilisés dans le contexte contemporain. Avec un peu d'intelligence. Et beaucoup d'urbanité. Couler une dalle dans un parc « parce qu'on a le droit » ne suffit plus. Une approche strictement légaliste est parfaitement idiote. Postes Canada, qui est tout de même un des plus vieux services publics, une des premières fonctions de l'État aussi, a une obligation morale de tenir compte de la volonté locale.

Montréal n'est pas le seul endroit où Postes Canada est contestée. Jusqu'ici, les tribunaux n'ont pu que constater l'absence de pouvoir des municipalités pour réglementer les emplacements et même pour réclamer un loyer.

Hamilton avait adopté un règlement pour encadrer l'installation de ces boîtes. Il a été invalidé. Comme l'a dit un conseiller municipal, si cette logique purement légaliste est poussée à l'extrême, Postes Canada pourrait raser toutes les forêts urbaines pour y installer ses boîtes de courrier.

Une cause est toujours devant la Cour fédérale pour contester ces installations. On aurait trouvé sympathique que Postes Canada attende le résultat. On rêve un peu, je sais.

Bref, ça n'a aucun sens de procéder de cette manière.

Ça n'a tellement aucun sens que partout au Canada, Denis Coderre sera dès aujourd'hui un héros.

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Permettez que je n'applaudisse que d'une main...

Si l'on accepte que les disputes se règlent à coups de marteau-piqueur, on s'avance sur une pente glissante. Un élu, un maire en particulier, doit tout de même agir dans un cadre légal. Je ne vois pas sur quelle base s'appuie le maire Coderre pour démolir un bien d'une société d'État. Techniquement, endommager le bien d'autrui est un délit au sens du Code criminel. Sans compter les dispositions de la Loi sur la Société canadienne des postes, qui prévoient une infraction spécifique pour la destruction de ses installations.

Que le maire aille faire une conférence de presse devant cette dalle, qu'il se rende en cour, qu'il interpelle les politiciens en campagne, qu'il crache sur la dalle s'il le veut, bref qu'il utilise les mécanismes légitimes de la contestation dans un État de droit. Il n'en aura pas moins 99 % de l'opinion publique avec lui, comme il l'a probablement ce matin. On n'est pas vraiment dans un de ces cas extrêmes qui justifient la désobéissance civile.

Que dira-t-il maintenant aux pompiers qui allument des feux devant l'hôtel de ville ? Aux policiers qui s'habillent en demi-clowns, qui disent qu'on leur a « volé » leur régime de retraite ? Aux cols bleus qui prendraient les camions de la Ville parce qu'on s'en prendrait au plancher d'emploi (disons) ? Eux aussi sont outrés, eux aussi trouvent que la Ville est arrogante et refuse de négocier.

Une fois le rideau tombé sur cet excellent et réjouissant spectacle, quelqu'un devrait peut-être avertir le maire qu'il risque de se piquer dans le pied, s'il commence à jouer du marteau.

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C'est aux politiques de régler ça. L'excuse de l'autonomie de la société d'État ne tient pas la route. Elle existe en vertu d'une loi du Parlement fédéral. Les politiciens peuvent exiger un service minimum, exiger des critères.

Ça tombe bien, on a une campagne électorale assez longue pour aller porter une lettre à pied à Natashquan.

Vous en dites quoi, messieurs les chefs d'Ottawa ?