Ils n'appellent pas ça un échec: c'est un «repli stratégique». Sauf que les leaders étudiants ont bien vu les limites du mouvement de grève.

La lettre de réflexion publiée par ceux qui dirigeaient l'ASSÉ jusqu'à samedi le dit très clairement: ça n'a pas levé. Tout s'est limité à quelques départements universitaires, surtout montréalais, et presque aucun cégep n'a suivi.

Maintenant que la grève de deux semaines s'achève, l'heure est venue de décider de continuer ou d'arrêter.

Si les assemblées votent contre la grève alors que l'ASSÉ propose de la poursuivre, ce sera un échec cuisant pour le mouvement.

Et si les assemblées votent pour... «Jusqu'où irons-nous pour affirmer victoire?», demandent-ils.

Quelqu'un, j'imagine, en fin de soirée, a posé la question un peu torrieuse: euh, la gang, ça finit comment, c't'histoire-là?

«Difficile d'établir ce que nous pourrions considérer comme une victoire», disent les ex-leaders de l'ASSÉ.

En effet.

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Il y en a un peu trop qui confondent le droit fondamental et très large de manifester et celui, plus restreint, de faire la grève.

On fait la grève pour réclamer quelque chose. Pour que ça finisse, il faut un espace de négociation.

Vous êtes le ministre de l'Éducation, ou même le premier ministre. Vous voulez faire preuve d'ouverture. Vous décidez de négocier. Bon, la question de l'industrialisation de l'espace est de celles qu'on règle assez facilement. Mais l'austérité?

L'ASSÉ réclame un «réinvestissement massif dans les services publics», donc pas seulement en éducation.

Il faudrait donc retirer le budget Leitao, j'imagine, et en faire récrire un autre. Sans doute Amir Khadir pourrait y contribuer?

Même à supposer qu'une majorité d'associations étudiantes votent «démocratiquement» pour la grève, auraient-elles la légitimité pour forcer à redessiner la politique générale d'un gouvernement... démocratiquement élu?

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Dès le départ, les revendications sont si exorbitantes du champ de l'éducation que cette grève est vouée à l'échec.

Celle de 2012 avait une portée sociale qui dépassait l'éducation. Mais elle était ciblée sur un enjeu clair, précis: les droits de scolarité. On pouvait négocier quelque chose. On pouvait en imaginer la fin.

Cette année, le mouvement a une ambition, ou plutôt une prétention qui la rend ingérable politiquement. C'est précisément ce que cherchent quelques agitateurs du mouvement, remarquez: une sorte de mouvement de protestation générale et désordonnée qui débouche sur un chaos créatif...

Ce n'est pas pour rien que les centrales syndicales ont été plutôt réservées jusqu'ici. La grève est un dernier recours qui doit être soigneusement planifié. Pour un travailleur, faire la grève a un coût. Pas pour un étudiant. Ça, les syndicats le savent et mesurent soigneusement leur stratégie, même s'ils sont tout aussi opposés aux politiques du gouvernement Couillard.

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Ce réalisme politique manifesté par les ex-leaders étudiants est évidemment irrecevable pour les plus radicaux, pour qui la grève est bonne en soi, quels qu'en soient les objectifs et même si elle est vouée à l'échec. D'où la démission des dirigeants de l'ASSÉ... suivie d'un congédiement «symbolique» !

On devine donc que la nouvelle garde est plus radicale. À l'opposé, l'Université du Québec à Montréal (UQAM), enfin, a décidé de rappeler un certain nombre de règles élémentaires. Non, il n'est pas permis de vandaliser les locaux sous prétexte d'action politique. Non, il n'est pas permis de se réunir, masqués, pour empêcher l'entrée au travail des employés de l'UQAM, de mettre des chaînes sur les portes d'entrée et même des sorties de secours, de détruire 27 caméras de surveillance, de frapper des employées de l'administration ou des étudiants, de bloquer l'accès aux cours... même dans les facultés qui ont voté contre la grève.

Il était temps que l'administration demande cette injonction pour faire cesser le climat d'intimidation qui règne dans certains départements sous couvert de lutte des classes.

Il y a eu 8129 chroniques, blogues et autres commentaires pour dénoncer le ministre de l'Éducation François Blais qui suggérait de suspendre deux, trois étudiants chaque jour pour refroidir les manifestants. La «petite phrase» était particulièrement ratée, elle donnait un air arbitraire et capricieux à ces mesures. OK.

Sur le fond, il n'a pourtant qu'énoncé lui aussi une évidence que, par excès de romantisme, certains sont en train d'oublier. Oui, il y a des règles, oui, il y a des limites aux modes de protestation démocratique.

Eh non, on ne peut pas entrer masqué dans une classe, intimider tout le monde et jouer des gros bras, faire des graffitis et détruire le mobilier.

Plate de même.

Le paternalisme, c'est aussi de dire d'avance «pauv' ti-minou» et de s'offusquer d'avance de toute sanction contre un étudiant.

Je propose au contraire qu'on fasse confiance à l'intelligence et à la responsabilité des étudiants, qui savent très bien ce qu'ils font.