D'abord, le titre. En français, ils ont appelé ça Loi sur les peines de prison purgées en entier. Le titre abrégé en anglais est beaucoup plus racoleur: «Life Means Life Act».

La vie, c'est la vie, mesdames et messieurs!

Ce projet de loi, déposé hier par le gouvernement Harper, a deux fondements: la peur et la désinformation. Il nous dit en somme que les peines d'emprisonnement à perpétuité prononcées en ce moment n'en sont pas. Et que pour que «nos rues» soient sûres, il faudrait mettre fin à cette supercherie.

On attend encore que le gouvernement nous cite un seul cas de criminel entrant dans la catégorie visée qui a été mis en liberté prématurément. Les criminels «les plus dangereux» n'obtiennent pas de libération conditionnelle.

Si cette loi est adoptée, ce sera un pas de plus vers l'américanisation de notre système de justice. Au moment où les Américains constatent la faillite de leur système carcéral, le gouvernement canadien fait tout ce qu'il peut pour l'imiter.

C'est par le même processus intellectuel que les États américains ont progressivement aboli les libérations conditionnelles. Après quelques cas de récidive d'individus en libération conditionnelle, on a «jeté la clé» du pénitencier dans un nombre de plus en plus grand de cas. En commençant par les crimes graves, mais non punis de la peine de mort. Puis, au gré des scandales ou des crises sociales, aux trafiquants de drogue petits ou grands, aux fraudeurs, aux récidivistes en tous genres. Si bien que 40 000 personnes sont emprisonnées «à vie pour de vrai» aux États-Unis.

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Comme aux États-Unis, les politiciens conservateurs minent la crédibilité du système de libérations conditionnelles en tentant de faire croire qu'il est une véritable passoire. Ce qui est faux.

Pour tous les criminels condamnés à l'emprisonnement à vie sans libération conditionnelle, une petite porte demeurera ouverte: après 35 ans de détention, ils pourront faire une demande au ministre de la Sécurité publique. Une concession faite pour «répondre à des préoccupations d'ordre constitutionnel», dit le ministre Peter Mackay dans son communiqué. Traduction: les légistes du ministère de la Justice lui ont fait comprendre que ces mesures seraient certainement invalidées par la Cour suprême s'il n'y avait pas au moins une vague possibilité de libération.

Pourquoi cette demande serait-elle faite à un politicien et non à la Commission des libérations conditionnelles? Après tout, c'est l'organisme de l'État chargé depuis toujours de ces dossiers qui a l'expertise pour faire ces analyses sans parti pris politique.

La Commission est formée de fonctionnaires qui ne rendent pas de comptes au public canadien, a expliqué la semaine dernière le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu. Et d'ajouter: avez-vous déjà entendu un commissaire aller expliquer sa décision au public canadien? Tandis qu'un ministre, lui, doit répondre de ses décisions devant le Parlement et devant ses électeurs...

On pourrait étendre le raisonnement à toutes les institutions de l'État. On n'entend pas les inspecteurs d'aliments s'expliquer avant de fermer une usine. Faudra-t-il envoyer le ministre chez les fabricants de fromages, étant donné que lui seul «répond au Parlement» ?

Non seulement la Commission a une expertise en la matière, mais le fait d'agir en dehors du spectre politicien, loin d'être un inconvénient, est un avantage: cette indépendance assure que les dossiers seront traités selon leur bien-fondé, et non pas pour aller faire campagne en qualité de champion de la loi et de l'ordre - ou de la compassion.

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Le projet de loi va encore plus loin qu'on ne l'avait annoncé. On abolit la possibilité de libération conditionnelle pour les meurtres commis lors d'un acte terroriste, d'une agression sexuelle ou d'un enlèvement, pour les meurtres de policiers ou de gardiens de prison et pour les meurtres «d'une nature particulièrement brutale». On ajoute la possibilité pour un juge de décréter une peine sans libération pour un meurtre non prémédité s'il s'agit d'une récidive.

On ne verra pas de défilé dans les rues pour défendre les assassins violeurs ou les terroristes. Il y a en fait bien des chances pour que ce projet de loi soit très populaire.

Ce n'en est pas moins une grave et profonde rupture avec la philosophie judiciaire canadienne que rien ne justifie. Si jamais cela devient loi, celle-ci risque d'être jugée inconstitutionnelle, tant elle s'écarte de l'ordre pénal actuel.

On peut, on doit être capable de défendre les droits des victimes en continuant à croire en une possible réhabilitation. Sans abolir, pour toujours, tout espoir de rédemption, aussi mince soit-il.

Mais on sait depuis longtemps que ce gouvernement est devenu expert dans l'opposition primaire et stupide entre «ceux qui défendent les terroristes et ceux qui défendent les policiers», ou «ceux qui défendent les victimes et ceux qui défendent les criminels».

La vie, après tout, c'est la vie, non?

Pour joindre notre chroniqueur: yboisvert@lapresse.ca