Il ne veut pas qu'on le dise «repenti»: il jure qu'il n'a jamais adhéré à l'islamisme violent. Disons que c'est un rescapé du djihadisme. Et maintenant une sorte de messager de l'anti-djihad.

S'il n'a pas été un djihadiste, tout destinait Mourad Benchellali à le devenir. En écoutant Oussama ben Laden prêcher dans un camp d'Afghanistan, il a vu de près comment on les fabrique.

Aujourd'hui, dans la banlieue de Lyon, il raconte à qui veut l'entendre son histoire en forme de fable dans les écoles, dans les cafés, les clubs sportifs. Pour convaincre les jeunes de ne pas tomber dans «le piège».

«Je ne donne pas de leçon, je raconte mon parcours. Peut-être que les jeunes m'écoutent plus que les spécialistes qui parlent à la télé», me dit-il au téléphone depuis Vénissieux.

S'il n'a pas été un djihadiste, Mourad Benchellali en avait tout l'air en 2001, quand l'armée pakistanaise l'a arrêté en Afghanistan.

À 19 ans, il s'était laissé convaincre par son frère de 27 ans, Menad, d'aller vivre l'aventure en Afghanistan. En juin 2001, ben Laden et Al-Qaïda lui étaient inconnus.

Difficile à croire? La justice française, quelques années plus tard, ne l'a pas cru. Mais «on regarde tout avec le filtre du 11 septembre 2001. Moi, je ne savais pas du tout ce qui m'attendait. Tout ce que je voulais, c'était sortir de mon quartier, vivre l'aventure, revenir raconter ça après...»

Ce qui l'attendait, c'était une filière hyper bien organisée, une «machine» qui l'a envoyé dans le camp d'entraînement terroriste de Kandahar, dans le désert afghan. Un véritable entraînement militaire de deux mois. Et des prédicateurs.

«J'ai vu que ben Laden était un personnage important; il y avait une grande excitation dans le camp quand on a annoncé son arrivée, des gardes du corps autour de lui. Il parlait de la légitimité des attentats suicides. Moi, je n'ai jamais voulu être un martyr, je voulais vivre. La radicalisation, ce n'est pas comme un virus qu'on attrape au contact des autres, on garde son libre arbitre. Il y a un effet de groupe, c'est sûr, mais même en étant là, on ne succombe pas nécessairement.»

Il quitte le camp et ne pense qu'à rentrer en France, mais arrive le 11 septembre. Les frontières sont bouclées. La guerre éclate. Il tente de fuir, mais il est capturé, sans arme, par l'armée pakistanaise et remis aux Américains. Envoyé à la base américaine de Guantánamo avec plusieurs centaines d'«ennemis combattants», il est torturé, interrogé tant et plus, puis il est relâché au bout de 30 mois sans jamais être accusé par les Américains.

«Toutes les conditions étaient réunies pour me radicaliser à Guantánamo. Isolé, avec pour seule lecture le Coran, les prières cinq fois par jour, mal traité... J'ai dû me battre pour ne pas me radicaliser, j'ai eu des moments de haine... Je parlais avec les gardiens, je leur disais que je n'étais pas un terroriste. Ils comprenaient. En même temps, je savais que c'était aussi de ma faute. Je n'aurais pas dû y aller. Là, je payais pour les atrocités des autres et pour ma naïveté.»

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Revenu en France, il est aussitôt traduit en justice. Aucun complot précis ne lui est imputé, mais il est condamné à un an pour «association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste».

La même année, ses parents sont renvoyés en Algérie: son père, un imam radical, est impliqué dans des «filières tchétchènes» qui projetaient des attentats à Paris. Son frère Menad, qui a admis ses convictions djihadistes, écope de 10 ans de prison.

A-t-il été le touriste aventurier imprudent au pays du terrorisme? Un semi-converti? Un djihadiste inavoué? Il n'a plus de contacts avec son frère, mais il est plus indulgent avec son père expulsé de France. «Je n'ai pas été élevé dans la haine...»

Depuis qu'il a publié son histoire (Voyage vers l'enfer), Mourad Benchellali n'a pas convaincu tout le monde, on s'en doute bien. Comme passé, c'est assez lourd. L'Express cite néanmoins des experts du terrorisme français qui le jugent «sincère».

Il a appris un métier - carreleur. Il travaille dans l'insertion des nouveaux ouvriers dans la construction.

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On estimait à 700 le nombre de jeunes Français en Syrie l'automne dernier. Entre 30 et 50 Canadiens s'y trouveraient.

«Je sais comment on en arrive là, dit Benchellali. Je m'identifie à eux. Ce n'est pas en France que la radicalisation a lieu. On vous attire là-bas. Les jeunes cherchent un idéal, ils ne trouvent pas d'avenir autour d'eux, ils n'arrivent pas à s'insérer dans la réalité nationale. Moi, je ne voulais pas devenir un terroriste, mais j'avais le sentiment de ne pas avoir ma place dans la société. Les groupes politisés extrémistes instrumentalisent cette sensibilité, ce ressentiment de la jeunesse musulmane. Ils embrigadent les jeunes en leur faisant miroiter une mission humanitaire, un combat juste, ils leur disent de venir aider les musulmans en Syrie ou en Irak. C'est comme ça qu'ils les attirent. Mais sur place, c'est l'enfer, la guerre, la violence, la mort...

«Comprendre la mécanique de la radicalisation, ce n'est pas l'excuser. On n'a pas à donner des raisons à l'inexcusable. Ce n'est pas normal de tuer. Mais il faut comprendre pour mieux lutter. Il y a toute une machine de radicalisation qui est à l'oeuvre et qui sait comment recruter.»

Et vous leur dites quoi, aux jeunes? Vous les convainquez?

«Ce n'est pas écrit sur leur front qu'ils veulent aller en Syrie. Tout ce que je fais, c'est raconter mon histoire. Mes erreurs. La peine que j'ai faite. Je leur dis: ne faites pas comme moi.»