Quatre ans d'emprisonnement pour «apologie du terrorisme», disait la manchette.

Oh, la justice française frappe fort! Qu'avait donc bien pu dire ce sinistre individu? Est-ce un recruteur djihadiste?

Pas vraiment. L'homme a été arrêté pour une banale affaire d'ivresse au volant, samedi, dans le nord de la France. Il avait causé un accident qui a blessé légèrement un père et sa fille.

L'homme, complètement ivre, est arrêté par la police. D'après ce que rapporteront les policiers, il se met aussitôt à crier: «Les terroristes ont bien fait de vous buter à Paris!» Puis: «Il devrait y en avoir plus, des frères Kouachi... Allahou Akbar!»

Lundi, son avocate insiste sur le fait que son client est alcoolique au dernier degré et ne se souvient de rien. Peu importe, le juge le condamne aussitôt à quatre ans de prison pour «apologie du terrorisme» et conduite en état d'ivresse.

Il faut dire que l'homme a déjà 16 condamnations pour divers crimes mineurs à son casier. Mais comme on l'imagine, le procureur de la République n'a pas manqué d'insister sur la nécessité de réprimer l'apologie du terrorisme, quelques jours à peine après les attentats de Paris, un argument retenu par le juge.

Premier étonnement, l'infraction elle-même. Le crime d'apologie du terrorisme n'existe pas ici, aux États-Unis non plus, un pays pourtant pas soupçonné de mollesse dans la lutte contre la terreur.

Deuxième étonnement, plus grand encore: l'extraordinaire célérité de la justice française. Arrêté juste avant minuit samedi, condamné lundi!

L'homme a-t-il abandonné toute contestation? A-t-il offert un aveu de culpabilité instantané?

Pas du tout. Le Code pénal français prévoit depuis novembre 2014 une peine pouvant aller jusqu'à 7 ans et 100 000 euros d'amende pour quiconque fait l'éloge d'un acte terroriste. En plus, la loi permet de prononcer des condamnations rapides «en comparution immédiate».

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Depuis vendredi, «au moins six condamnations» ont été prononcées en France, rapporte Le Monde. Plus de 50 cas d'apologie du terrorisme ont été signalés par les autorités.

Parmi eux, l'humoriste Dieudonné, régulièrement interdit de scène et condamné en justice pour sa grande spécialité: l'antisémitisme pseudo-humoristique.

Qu'a-t-il fait? Dimanche, sur Facebook, il a ironisé sur la grande marche de solidarité, disant en être revenu et avoir senti l'instant «magique égal au Big Bang qui créa l'Univers». Et de conclure: «Je me sens Charlie Coulibaly». Référence claire au tueur d'une policière et des quatre clients juifs de l'épicerie à la porte de Vincennes. Mais est-ce l'«apologie» du terrorisme? Qu'a-t-il voulu dire au juste? On s'en doute, me direz-vous. Mais on est tout de même en droit pénal. Il y a une peine d'emprisonnement à la clé. Les propos déplacés, ironiques, équivoques, même répugnants, abjects, valent-ils un emprisonnement?

Quand la loi, de surcroît, autorise la procédure expéditive, la justice court un grand risque de dérapage. Juger instantanément des prévenus dans un contexte émotivement et politiquement aussi chargé, moins d'une semaine après le pire massacre qu'ait connu le pays en 50 ans, n'est pas très prudent.

L'empressement à condamner produit quelques résultats spectaculaires, des «exemples» servant d'avertissements, mais il ne fait rien pour la vraie lutte contre le terrorisme.

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On comprend l'intention de l'État français, devant la montée de la menace terroriste: se donner des outils pour éradiquer la propagande djihadiste.

Sauf que ceux qu'on a condamnés jusqu'à maintenant depuis une semaine sont essentiellement des clochards, des ivrognes et des esprits dérangés qui ont craché leur fiel sur un policier ou sur l'internet.

On est loin d'organisateurs ou de gens qui incitent sérieusement aux actes terroristes.

Criminaliser sévèrement les paroles est en soi très délicat. Créer en plus une procédure d'exception accélérée spécifiquement pour des délits d'expression réduit à peu près complètement la possibilité d'être jugé dans un contexte le moindrement serein. Ce qui est tout de même une condition de base de la justice.

La loi permettra aux procureurs de bomber le torse devant tous ces exemples de fermeté de la justice. Mais elle ne fera strictement rien pour la sécurité nationale, vu le genre de «clients» que ce filet de justice très serré va ramasser.

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca