Quinze années de durcissement du droit criminel ont fini par produire des effets mesurables.

Le nombre de détenus dans les pénitenciers a augmenté de 17,5% depuis 10 ans, d'après l'Enquêteur correctionnel.

Une compilation du Devoir concluait à une augmentation de 11% depuis deux ans de la population dans les prisons québécoises (peines de moins de deux ans), quand une loi fédérale a instauré toute une panoplie de peines minimales automatiques.

La politique du gouvernement conservateur est évidemment en cause - et Québec réclame un dédommagement. Mais déjà, sous le règne libéral, plusieurs mesures avaient été adoptées pour durcir les peines dans certains cas. Les libérations conditionnelles ont également resserré leurs critères, si bien que les détenus reprennent leur liberté plus difficilement et plus tard qu'avant.

Quand mon collègue Hugo de Grandpré a demandé au juge Louis LeBel de parler des grandes tendances à venir, le nouveau retraité de la Cour suprême a parlé du durcissement des lois pénales. «Je pense qu'il est inéluctable que ça provoquera [...] une multiplication des contestations constitutionnelles et probablement des réexamens de la jurisprudence [...]».

D'un peu partout au Canada, on voit en effet les cours d'appel dénoncer l'injustice des peines minimales automatiques.

L'an dernier, la Cour d'appel de l'Ontario a déclaré invalide la peine automatique de trois ans d'emprisonnement pour possession d'une arme à feu à autorisation restreinte. La loi ne permet pas de distinguer le criminel qui a un revolver chargé dans sa veste et un citoyen négligent. La Cour avait eu des mots très durs envers cette mesure «cruelle et inusitée», totalement déconnectée de la réalité et qui empêche la recherche de la vérité dans la justice criminelle.

En Colombie-Britannique, la Cour d'appel a conclu de la même manière en refusant d'infliger la peine automatique d'un an à un petit revendeur toxicomane.

D'autres jugements similaires ont été rendus au Québec et ailleurs, et la Cour suprême est présentement saisie de la question.

Ce qui inquiète, c'est le prêt-à-porter judiciaire: pour prétendre améliorer la sécurité publique, on impose à tous les cas une solution unique.

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En 1970, le taux d'incarcération aux États-Unis était de 150 personnes par 100 000 habitants. Il a grimpé à 756 en 2007, justement à cause des peines automatiques en matière de drogue, de l'élimination graduelle des libérations conditionnelles et de mesures du type «three strikes, you're out». Le système craque de partout, ses coûts sont désormais astronomiques.

Les partisans de ces mesures soulignent que la criminalité a diminué de manière radicale aux États-Unis depuis 25 ans. C'est vrai, mais la même baisse a été observée dans tout le monde développé, notamment au Canada, sans qu'on ait recours à l'emprisonnement massif.

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Pourquoi la criminalité a-t-elle diminué? La question est plutôt: pourquoi a-t-elle augmenté entre les années 50 et 90, écrit Michael Tonry, un expert américain (Why crime rates are falling throughout the Western world).

La tendance historique partout en Occident est à la diminution de la violence depuis le Moyen-Âge (le taux d'homicide en Angleterre était de 20 pour 100 000 au XIXe siècle, contre environ 1 de nos jours). L'éducation, l'amélioration du contrôle social et individuel, l'apparition d'un État structuré, de polices professionnelles et d'un système carcéral organisé peuvent expliquer cette tendance historique mondiale.

Le saut soudain des années 60-70-80 est difficile à expliquer autrement que par une série de «perturbations sociales» qui ont suivi l'après-guerre.

Mais chose certaine, les politiques d'emprisonnement massif qui y ont répondu n'ont pas été la cause du déclin du crime aux États-Unis, puisque la criminalité a recommencé à diminuer depuis 25 ans, aux États-Unis comme au Canada comme en Europe.

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Il en coûte 117 788$ par année pour entretenir un détenu dans un pénitencier fédéral canadien, note l'enquêteur correctionnel Howard Sapers.

Vu l'ampleur de cet «investissement», il serait intelligent de «recourir à l'incarcération seulement lorsque cela est nécessaire, de veiller à ce que les détenus soient dûment préparés à retourner dans la collectivité, qu'ils ne soient pas aigris de leur expérience et qu'ils soient en bonne santé mentale au moment de leur mise en liberté», dit-il dans son rapport annuel - auquel ne se donne même plus la peine de répondre le gouvernement conservateur.

Cela voudrait dire des peines qui soient taillées sur mesure pour le délinquant, plutôt que des peines préusinées pour des raisons politiques et idéologiques.