Le monument est encore encerclé de rubans jaunes. On a tout de même ouvert une allée pour que les gens viennent déposer des fleurs.

Après les politiciens, au petit matin, des inconnus s'avancent maintenant un à un. Même ceux qui voulaient fleurir discrètement sont bien obligés de constater la solennité du moment. Ils marchent devant des policiers et des militaires, le parlement en toile de fond.

Il y a eu un ancien combattant en kilt, médailles sur la veste. Un homme qui boitait, bouquet de fleurs dans son bras handicapé, coquelicot sur la poitrine.

Et il y a cet homme en djellaba, barbu, kufi sur la tête. Sikander Hashmi est l'imam d'une mosquée de Kanata, dans la banlieue d'Ottawa.

«Je suis ici parce que des gens font le lien entre ce qui s'est passé ici et ma religion, et parce que des gens prétendent agir au nom de l'Islam en faisant ça. Je suis né ici, je ne connais pas d'autre pays ni d'autre capitale, et je suis fâché qu'on ait pu faire ça.»

Il ne s'indigne pas quand je lui demande si les représentants de l'Islam n'ont pas une responsabilité particulière pour débusquer et dénoncer la radicalisation et le terrorisme islamiste.

«On fait tout ce qu'on peut; en 2005, 120 imams canadiens ont signé une déclaration commune pour dénoncer le terrorisme, j'en parle dans mes sermons... Je vous rappelle que c'est un imam qui a donné l'information permettant de déjouer le complot contre un train de VIA Rail (deux hommes de Toronto et Montréal sont accusés d'avoir comploté pour faire dérailler un train en 2013). Ceux qui ont ce genre d'intentions ne viennent pas me voir, parce que je m'en occuperais! Mais peut-être faudra-t-il accentuer nos efforts...»

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Après les assassinats des derniers mois commis par l'organisation État islamique ou d'autres groupes de la même mouvance, les médias se sont tournés vers la communauté musulmane dans plusieurs pays occidentaux.

En France, notamment, certains se sont élevés contre cette culpabilisation par association: chaque fois qu'un chrétien commet un crime de masse, est-ce qu'on demande aux prêtres de le dénoncer? C'est un peu présumer de la culpabilité de tous les musulmans...

Le hic, c'est que la mouvance terroriste dominante n'est pas seulement liée vaguement à des musulmans. Elle prétend agir au nom d'un Islam «combattant». Les groupes les plus barbares fondent leur propagande sur une supposée justification religieuse. Qui peut y répondre, sinon les représentants légitimes de la foi musulmane?

Hier, Syed Soharwardy, un imam de Calgary qui a fondé «Musulmans contre le terrorisme», disait qu'il fallait mobiliser les leaders musulmans au Canada pour avoir à l'oeil en particulier les nouveaux convertis.

Les musulmans n'ont pas à porter la culpabilité des dérives terroristes ou psychiatriques commises au nom d'Allah. Mais dans l'état actuel des choses, ils ont en effet une responsabilité supplémentaire pour les contrer.

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On peut se poser de sérieuses questions sur la mosquée de Saint-Jean-sur-Richelieu que fréquentait Martin Couture-Rouleau, auteur de l'attentat de lundi. L'endroit est fréquenté régulièrement par un prédicateur appelé Hamza Chaoui qui, apparemment, estime la démocratie occidentale absolument incompatible avec sa religion.

L'homme, qui en a notamment contre la tenue vestimentaire des joueurs de soccer et la danse, estime que «la législation islamique et la démocratie sont sur deux lignes en parallèle qui ne seront jamais en intersection», rapportait mon collègue Philippe Teisceira-Lessard.

On est loin d'un appel à la violence, mais ça ressemble drôlement à une haine de la démocratie constitutionnelle telle qu'on la conçoit généralement en Occident.

Les «loups solitaires» se nourrissent essentiellement de propagande haineuse sur l'internet, et se radicalisent «tout seuls» dans leur sous-sol, nous dit-on.

Est-ce aussi simple? Le discours anti-occidental, haineux même parfois, qui se fait sous couvert de religion, n'est-il pas une sorte de relais psychologique ou idéologique, même s'il n'est pas un appel aux armes? Une sorte de consolation pour celui qui a choisi les armes?

L'immense majorité pacifique des musulmans porte injustement le poids de l'Islam violent. Et de celui qui justifie la violence. Ou l'encourage. Ou l'excuse.

Mais cet autre Islam a ses représentants ou ses sympathisants en chair et en os, ici même au Canada. Et les mieux placés pour les débusquer et les contrecarrer sont précisément les leaders musulmans. Ceux de l'Islam de paix.