Connaissez-vous les Corniques? Les 500 000 habitants des Cornouailles, descendants d'un peuple celtique dans la pointe sud-ouest de l'Angleterre, ont une administration régionale. Mais pourquoi n'auraient-ils pas leur propre Parlement, avec pouvoirs dévolus, comme les Écossais?

C'est ce que plaidait vendredi un politicien local, maintenant que le référendum écossais est passé. Et ce que réclament déjà d'innombrables régions du Royaume-Uni.

À la barre du jour vendredi matin, le premier ministre britannique David Cameron a annoncé un chantier constitutionnel qui pourrait bien virer au cauchemar.

Il ne s'agit plus seulement de transférer plus d'autonomie politique à l'Écosse. Il s'agit de revoir tout le partage des pouvoirs dans le Royaume-Uni.

«Nous allons changer la manière dont le peuple britannique est gouverné, a dit Cameron. L'Angleterre, l'Irlande du Nord, le Pays de Galles aussi veulent obtenir plus de pouvoirs.» Entre autres!

La raison est assez simple: les autres aussi veulent se gouverner de plus près. Historiquement, le pouvoir à Londres a négocié des accords à la pièce, à l'anglaise, c'est-à-dire selon les cas très particuliers de chacun. Tantôt avec l'Irlande du Nord (2 millions de personnes), tantôt avec l'Écosse (5 millions), tantôt avec les Gallois (3 millions).

Mais devant la promesse écossaise des trois chefs de parti, en panique devant un possible Oui, le reste du pays a dit «nous aussi» quand ce n'était pas «ça suffit!»

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L'Angleterre a beau constituer 80 % du Royaume-Uni, il n'y a pas «une» Angleterre. Bien des régions se sentent aussi loin du pouvoir central que les Écossais. Sauf qu'il n'y a pas de Parlement du Nord de l'Angleterre. Ou du centre.

Newcastle, à 100 km de la frontière écossaise, se sent aussi oubliée que Glasgow, plus en fait, vu qu'on n'y a pas un Parlement national distinct pour faire contrepoids à Westminster.

Plusieurs députés anglais sont d'avis que les Écossais sont les enfants gâtés du Royaume, sans cesse en quête de plus d'argent et de pouvoir - on a entendu ça chez nous, non?

Quant au pays de Galles, qui a obtenu son Parlement en même temps que l'Écosse, en 1999, il n'est pas question de regarder passer le train des réformes sans dire: on en veut!

Bref, tant dans les nations distinctes que dans les régions et les grandes villes britanniques, il y a une soif d'autonomie sans précédent.

Voilà pourquoi il est politiquement impossible pour Westminster de faire approuver un nouvel arrangement constitutionnel pour la seule Écosse.

Et voilà pourquoi le premier ministre a promis vendredi matin un nouvel équilibre du pouvoir, incluant une plus grande indépendance... pour les grandes villes.

Tout un programme! Et des espoirs à l'avenant...

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Il y avait bien sûr les tristes, les amers, les colériques même, vendredi en Écosse. Mais dans les rues d'Édimbourg la nuit dernière, et encore vendredi matin, le mot d'ordre des partisans du Oui était plutôt celui d'Alex Salmond, le premier ministre démissionnaire: c'est une victoire pour l'Écosse, Westminster s'engage fermement dans la voie de la «dévolution maximale».

Le hic, c'est qu'il n'y aura plus seulement deux partenaires à la table. Il y en aura... beaucoup! Combien? C'est loin d'être clair.

Cameron a annoncé la règle, toutefois: tout sera fait en même temps, il n'y aura pas de négociation séparée. Je rappelle que Cameron dirige un gouvernement de coalition; il n'a même pas la majorité en chambre pour imposer un accord, s'il y en a un...

À travers ça, il est question ou bien d'un «Parlement anglais» séparé, ce qui ne semble pas très réaliste, ou plutôt d'un système où seuls les députés anglais auraient droit de vote sur les questions ne concernant que l'Angleterre.

Après tout, disent les Anglais, pourquoi les Gallois, les Irlandais du Nord et les Écossais auraient leur Parlement pour leurs affaires, en plus du droit de vote au Parlement pour celles des Anglais?

Il faudra définir ce qui est purement anglais. Il faudra voir ensuite que toutes les régions anglaises ne veulent pas forcément voter d'une même voix. Et puis, les partis fortement représentés hors de l'Angleterre (les travaillistes en Écosse) perdraient du coup de leur pouvoir...

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Faudra-t-il créer une authentique fédération, dans laquelle il faudrait morceler l'Angleterre? Ce serait une révolution. Faudra-t-il finalement adopter la première constitution écrite du Royaume-Uni? Présentement, la constitution est une série de conventions, de coutumes et de simples lois du Parlement de Westminster, qu'en théorie n'importe quel Parlement futur peut modifier.

L'expérience canadienne nous a appris une chose: en matière de négociations constitutionnelles, ce genre d'exercice de grand écart et de jonglerie politique vire souvent au désastre.

En même temps, ce pays si fier de ses traditions centenaires bizarres a été capable au fil des siècles de s'adapter aux crises successives avec une sorte de génie. On porte encore des perruques devant certaines cours, mais il y a 10 ans à peine, on a pu réformer en profondeur le système de justice, allant jusqu'à retirer le pouvoir de la chambre des Lords pour le transférer à une nouvelle Cour suprême.

Bref, on souhaite la meilleure des chances aux Écossais. Mais même avec la meilleure volonté politique et la plus pure bonne foi, tout ceci pourrait bien finir en eau de haggis...