À 5 h 30, une pluie fine tombait sur Édimbourg et la place du Parlement se vidait un peu plus. L'alcool a coulé, mais le party est annulé.

Ce n'est pas « le suspense » qui a duré toute la nuit. C'est la défaite du Oui. Dès les premiers résultats, ça se voyait. Il s'agissait de régions où le Oui ne prétendait pas gagner, mais où il ne prévoyait pas perdre autant. La suite a été une longue série de défaites, sauf exceptions, la plus notable étant Glasgow.

Glasgow, la plus grande ville de cette nation de 5,2 millions de personnes, qui a voté largement pour le Oui, tandis que l'autre grande ville, Édimbourg, a voté massivement pour le Non.

À elles deux, elles résument l'histoire de cette campagne, comme des miroirs. Glasgow, la ville ouvrière vibrante, la ville industrielle frappée au coeur depuis 35 ans par les fermetures d'usine. Édimbourg, la ville propre et sage de la fonction publique, très « classe moyenne ».

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Il était 6 h 20 quand est apparu Alex Salmond, le premier ministre écossais qui a fait aboutir le projet de référendum après 30 ans de combat. Il a calmement accepté la défaite et invité les Écossais à faire de même. Sa page Facebook, qui s'ouvrait sur une image disant « Merci l'Écosse », a été changée pour « One Scotland ».

En effet, cette défaite n'est que le début de la lutte pour obtenir les pouvoirs supplémentaires promis par les trois principaux partis à Westminster. D'où cette nécessité d'en appeler immédiatement à l'unité, pour ne pas perdre le levier du vote indépendantiste, somme toute spectaculaire.

« L'Écosse s'attend à ce que cette promesse (de dévolution maximale) soit respectée et donne des résultats rapidement, a-t-il dit. Ça ne pourra plus jamais être business as usual. »

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Si on ne se fiait uniquement qu'à l'atmosphère électrique au Square George à Glasgow, où j'étais hier après-midi, ou dans les pubs d'Édimbourg, ouverts exceptionnellement toute la nuit, où je me suis retrouvé beaucoup plus tard, ou encore dans les réunions publiques ces derniers jours, on avait l'impression d'une victoire certaine pour le Oui.

Les drapeaux écossais, les écussons du Oui étaient partout, ceux du Non pratiquement invisibles. La campagne du Oui a occupé presque tout l'espace public.

Aussi, quand les sondages du début septembre ont commencé à donner le Oui en avance, ça semblait jouable. La défaite paraît donc très amère, et déjà les accusations contre « l'establishment » et les grandes corporations pleuvent.

Depuis deux ans pourtant, les sondages avaient constamment donné le Non largement en avance. Et même cet été, aucun n'accordait 45 % au Oui.

Salmond a finalement eu raison de dire qu'il a senti la peur à la fin de la campagne. Pas celle de la population... Mais celle de « l'establishment de Westminster devant la marche du peuple écossais ».

Personne n'avait vu venir cette vague. Le gouvernement n'a jamais craint de perdre le référendum... sauf trois semaines avant le vote. D'où le vent de panique, les manoeuvres de dernière minute, les promesses de « dévolution » de plus de pouvoirs.

Salmond avait raison en même temps de dire que les politiciens de sa génération n'auraient jamais cru possible, ni même crédible, que 45 % des Écossais votent Oui un jour, quand ils ont commencé en politique. Avec un taux de participation record (85 %), ce résultat aura un impact politique inévitable. Ce « Non » cache une partie importante de l'histoire, finalement...

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Dès la fermeture des bureaux de vote, et pendant une bonne partie de la nuit, en se promenant sur la place du Parlement, on pouvait croiser une sorte d'internationale indépendantiste informelle.

Des Catalans, des Basques, des Sardes, des Corses, des Bretons mêmes, étaient venus manifester leur solidarité aux militants du Oui écossais. Plusieurs voyaient dans ce référendum une sorte de domino qui pourrait entraîner d'autres indépendances nationales en Europe. À l'inverse, plusieurs capitales européennes ont dit « ouf » cette nuit.

« J'ai donné 700 livres (1300 $) au Yes! », m'a dit Getthin Joanes, 36 ans, venu du Pays de Galles, nation de 3 millions qui a aussi obtenu son parlement. « Nous, il est trop tard, on ne fera pas l'indépendance, on va se faire foutre dehors par le Royaume-Uni. »

Dans un pub tout près, un couple de Québécois prenait une bière après avoir été bénévole pour le Yes toute la journée. « On distribuait des dépliants du Oui, et à voir la réaction des gens dans notre bureau, ils n'étaient pas très Oui... » dit Jean Denis, 49 ans, de Montréal, qui a eu raison.

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L'appel à l'unité fonctionnera-t-il? Il était planifié, du moins.

À peine le vote terminé, Yes Scotland publiait un message gracieux d'unité sur Twitter : « Merci à tous, Oui ou Non, nous avons pris part à un débat formidable. Demain, travaillons ensemble pour construire une meilleure nation. »

Il est 7 h le matin, et on ne rapporte pas de casse...

Vers 9 h ce matin, Emma Davie, qui a milité pour le Oui, emmènera ses étudiants à Carlton Hill, le point le plus élevé de la capitale écossaise.

« Pour voir ce pays, il faut aller au sommet d'une colline. Je veux leur montrer leur nouveau pays », me disait la cinéaste, qui enseigne à l'Université d'Édimbourg.

Si c'est un Non?

« Nous irons quand même! L'Écosse sera un nouveau pays de toute manière; nous nous sommes réveillés, je le ressens profondément. Voir ces jeunes débattre de leur avenir comme jamais, c'est très inspirant. Il faut prendre cette énergie et s'en servir comme d'une impulsion. »

Ce qui est sa façon de dire : nous n'avons pas « perdu ».