Le Margo Bus s'installe devant une série de maisons en rangée. Il est 11h et Jim Sillars, 76 ans, continue sa série de 10 discours quotidiens pour le Oui dans les quartiers ouvriers de Glasgow.

Nous sommes dans Yoker, zone résidentielle et industrielle ravagée le long de la Clyde River. Un peu le canal de Lachine. Des usines désaffectées, des entrepôts, quelques manufactures, des condos, des pistes cyclables et des terrains en friche.

Il prend une gorgée de sirop et le voici debout dans la benne de ce pick-up, micro à la main. Un haut-parleur est installé sur le toit, à côté de la grosse photo de Margo.

La voix de Jim Sillars explose dans la rue. Une voix qui a retenti depuis 50 ans dans des milliers d'assemblées syndicales, de réunions, et jusqu'au Parlement britannique, où il a été député travailliste pendant 12 ans, jusqu'à perdre toutes ses illusions unionistes, en 1982.

«Pour ceux qui sont sur le quart de nuit, je m'excuse de vous réveiller, mais je ne m'excuse pas d'être ici ce matin, car demain sera le jour le plus important de l'histoire de l'Écosse! Entre 7h le matin et 10h le soir, pour la première fois, nous serons entièrement souverains, et à 10h01, si nous avons dit Non, nous aurons cédé cette souveraineté à un autre pays.»

Il parle du pétrole dans la baie de Clyde, qui ferait de Glasgow «l'Aberdeen de l'Ouest», qui les rendra riches, mais que Westminster a «caché» et ne veut pas exploiter, pour ne pas entraver le passage des sous-marins nucléaires.

Il parle du duc de Buccleuch, aristocrate héréditaire écossais, plus grand propriétaire terrien du Royaume-Uni, qui ne paie pas d'impôts. Il parle de la pauvreté «honteuse» d'un enfant sur cinq, des banquiers qui prétendent dicter aux gens comment voter mais qui ont créé la crise économique. Et tout ce qui pourrait changer avec un Oui.

Il n'y a pas de rassemblement. Certains regardent par la fenêtre. D'autres sortent voir ce qui se passe. Les bénévoles donnent des affiches aux rares passants. On le salue.

«Voyez le langage corporel, me dit-il: ces gens avec la pancarte du Oui, ils me saluent avec le poing fermé, c'est le poing de la victoire, cet été on ne voyait pas ça, ils saluaient la main ouverte...»

Un passant s'approche, agressif: «Menteur! Salmond et toi, des foutus menteurs! Margo aurait honte de toi!»

Il se tourne vers moi: «Avant, les gens du Non étaient respectueux, les insultes, c'est bon signe! Ils vont perdre!»

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Margo MacDonald n'était pas seulement une des figures les plus respectées et aimées du mouvement indépendantiste écossais. C'était la femme de Jim Sillars. Elle est morte le 4 avril.

«On n'a pas fait de deuil, vous savez, le 5 avril, je partais en campagne... 10 discours par jour, des déplacements, des assemblées... Elle m'a dit: la maladie m'a sortie de la campagne, toi, continue. Alors je continue. Je fais campagne en son nom.»

Quand le Parti national écossais était encore marginal, dans les années 70, la très belle Margo était une des étoiles les plus brillantes du mouvement indépendantiste.

«C'est terrible de penser que le Oui pourrait l'emporter et qu'elle ne soit pas là, elle qui a porté le rêve... Mais si c'est le Non, c'est peut-être mieux ainsi», me dit sa fille Petra, l'oeil embué. Elle monte dans le bus pour la première fois.

Le pick-up s'ébranle, on s'installe 10 minutes plus loin, Jim Sillars fait vibrer les fenêtres de sa voix, il parle des compressions à venir des conservateurs, de l'Écosse qui ne compte pour rien à Londres, de Thatcher qui a dit qu'il n'y a «pas de société»...

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Sillars s'est fait remarquer cette semaine en disant que l'Écosse allait nationaliser British Petroleum, et que BP viendrait supplier à genoux pour puiser le pétrole dans la mer du Nord, bref, en répondant en socialiste écossais sans complexe aux menaces du grand capital. Le camp du Non a tenté d'embarrasser Alex Salmond, en disant qu'une Écosse indépendante ferait peur aux investisseurs.

«Alex m'a appelé pour me dire qu'il allait exprimer son désaccord... C'est correct, il est premier ministre, moi, je ne suis pas un diplomate, je dis ce que je pense, et le Margo Bus, il a été financé entièrement par le financement collectif, personne ne me dit quoi faire.»

Personne? Enfin, le souvenir de Margo un peu. Il me cite en cascade sa femme adorée.

«Elle disait: du respect de soi-même vient la confiance, de la confiance vient l'imagination, de l'imagination vient la créativité, de la créativité vient la prospérité...

«La confiance. Le respect. Mon job, moi, c'est d'aller dans les quartiers ouvriers et de dire aux gens d'avoir confiance, qu'ils sont meilleurs qu'ils ne le pensent. On ne leur dit jamais. Aux Écossais, on a dit qu'on n'était bon à rien, incapables de se gouverner. On ne dira plus ça. On va gagner.»

Mais avant, il faut aller parler dans Drumchapel, puis à Paisley, vite, vite, un dernier discours...

PHOTO DYLAN MARTINEZ, REUTERS

Les indépendantistes ont tenu un dernier rassemblement hier dans le centre de la plus grande ville écossaise.