On s'est rencontrés au pub bien nommé «The Fountain» et avant même qu'on se serre la main au milieu des semi-hipsters, il m'a montré son porte-clés bleu du «Yes».

«J'affiche mes couleurs! D'ailleurs, je vais voter jeudi.»

Comment ça, voter? Tomber amoureux d'une Écossaise, ça donne le droit de vote?

Ce Québécois, qu'on appellera René au cas où son boss lirait La Presse, est arrivé à Édimbourg cet été avec sa blonde. Il n'a pas de grand-mère écossaise, pas même un oncle connaisseur de single malt et confesse un dégoût sincère pour le haggis, sorte de hachis d'abats cuit dans un estomac de mouton et qu'on a érigé en plat national écossais. Enfin bref, à part sa blonde, le gars est québécois comme vous et moi.

Et pourtant, il va voter.

Fraude? Pas du tout. Les citoyens du Commonwealth, au cas où vous ne le sauriez pas, ont tous le droit de voter aux élections au Royaume-Uni. Un étudiant canadien à Oxford, par exemple, peut s'inscrire sur la liste électorale et voter pour élire un député à Westminster.

Même chose pour les citoyens de l'Union européenne: ils ont le droit de voter dans le pays de leur résidence. Sitôt débarqués, ils sont présumés être «résidants» et peuvent s'inscrire.

Toujours est-il que René a été le plus surpris des hommes d'apprendre qu'il avait le droit d'aller s'inscrire. Une heure avant la fermeture du bureau, il y a deux semaines, il s'est pointé avec son passeport, une preuve de résidence et ses plus beaux habits.

«OK, remplissez le formulaire...

- Euh, vous ne me demandez pas une carte, mon passeport...?

- Non, non, on vous fait confiance. C'est basé sur la confiance.»

Dans un monde où tout est vérifié, calculé, scruté, filmé, cette présomption de bonne foi avait quelque chose d'émouvant. En même temps... Il voulait montrer son passeport, prouver qu'il n'était pas un tricheur! Et comment sauraient-ils qu'il avait écrit sa vraie adresse?

Bon... OK, d'abord.

Notre homme avait 20 ans au référendum québécois de 1995. «J'ai voté Oui, mais il y avait une grande part de romantisme, je ne voyais pas l'ampleur du projet. Cette fois, je me suis intéressé aux enjeux, je me sens partie prenante, je vois un projet social pour l'avenir, inclusif, pas seulement une défense de l'identité. Dans tout le cynisme ambiant, c'est un choix que je trouve inspirant, même si je sais qu'il y a une part qui est idéalisée. Et puis, j'ai perdu en 95... Combien de gens de ma génération ont la chance de racheter cet échec?»

Oui mais, René, tu t'en rends compte? Tu connais les règles écossaises: c'est la majorité simple... Alors... Si jamais le référendum est gagné par le Oui à 50% plus 1... Ce sera toi, le 1!

Il m'a promis une entrevue exclusive. J'ai un titre de travail: «Le Québécois qui a donné l'indépendance aux Écossais».

«Dans une lutte serrée, l'inscription des votants est évidemment un enjeu crucial, et c'est ce qui a mené à un taux record en Écosse, dit Jo Shaw, qui dirige la Chaire de recherche sur les institutions européennes à l'Université d'Édimbourg.

On parle de 95... peut-être 97% des votants potentiels qui sont inscrits. Du jamais vu.

«On ne sait pas combien proviennent de l'UE ou du Commonwealth, mais de toute manière, ce qu'il faut voir, c'est la participation le jour du vote.»

Le vote des non-Écossais est un souci assez mineur, en vérité. La vraie controverse concerne les 800 000 Écossais qui vivent ailleurs dans le Royaume-Uni. Et les quelque 300 000 qui vivent ailleurs dans le monde. Sur une population totale de 5,2 millions, ça compte. Ils sont citoyens du Royaume-Uni, ils ont le droit de voter aux élections européennes ou du Parlement britannique, mais ils ne peuvent pas voter à «leur» référendum, n'étant pas résidants.

James Wallace, un jeune avocat écossais en formation à Londres, s'est fait le porte-parole des expatriés. Après avoir étudié le droit anglais pendant trois ans dans la capitale, il reviendra exercer sa profession en Écosse... Mais il ne peut pas voter au référendum. C'est pourtant beaucoup plus important qu'une élection de député...

Justement: Wallace, comme n'importe quel citoyen britannique, peut voter pour l'élection de son député à Westminster ou de son député européen (jusqu'à 15 ans après avoir quitté le pays), où qu'il se trouve dans le monde.

«Si l'Écosse devient indépendante, j'en serai un citoyen, mais je n'aurai pas pu voter pour en décider», écrit-il sur son site («Let Wallace Vote»).

Trop compliqué, ingérable, a répliqué le gouvernement écossais.

L'étudiant français ou espagnol installé au mois d'août, ou... René, eux, ont le plein droit de choisir si oui... ou non... l'Écosse est un pays.

Ils sont «résidants». Qu'est-ce qu'un résidant? On a beau lire toutes les lois, aucune définition n'apparaît. «Les juges ont dit que pour être résidant, il fallait «un degré considérable de permanence», ce qui n'est pas très clair, j'en conviens», dit la professeure Shaw.

Plusieurs, dont la commission du droit du Royaume-Uni, ont mis en relief le flou problématique de la notion de résidence dans les lois britanniques.

En attendant, René est pas-mal-plutôt-mettons résidant. Assez pour voter.

Et si l'indépendance se fait par une seule voix, ce sera la sienne.