Pendant la dernière campagne référendaire au Québec, James Kennedy était installé à Montréal. Il faisait une étude comparative des nationalismes de son Écosse natale et du Québec.

À l'époque, l'Écosse n'avait pas même un Parlement national. Il n'imaginait évidemment pas que le Oui serait en position de l'emporter dans un référendum sur l'indépendance chez lui, 19 ans plus tard, dans des circonstances... très québécoises.

«Bien franchement, il y a trois semaines non plus je ne voyais pas ça venir!», dit le professeur, que je rencontre à son bureau de l'Université d'Édimbourg, une des plus vieilles d'Europe, qui occupe le coeur de la ville avec son mélange bigarré d'édifices gothiques et contemporains.

À première vue, l'histoire des référendums du Québec et de l'Écosse se ressemble tellement qu'on a l'impression d'une sorte de parodie.

La même remontée spectaculaire et inattendue en fin de campagne, la même panique de l'establishment. Vendredi, ce n'étaient plus seulement les banques qui menaçaient de déménager, mais des supermarchés qui laissaient planer une hausse des aliments en Écosse en cas de Oui.

Ça rappelle 1995 et les menaces de déménagement d'usines (Bombardier) et de pertes d'emploi au Québec - Paul Martin, ministre des Finances à Ottawa, prédisait une perte d'un million d'emplois au Québec si le Oui l'emportait.

Mais à part les chiffres et le débat inévitable sur les risques économiques et l'autonomie politique, les mouvements nationalistes écossais et québécois ont beaucoup moins en commun qu'on serait tenté de le croire.

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La question de l'identité est à peu près absente du débat référendaire écossais. Il n'est pas question de sauver une langue minoritaire - le gaélique a pratiquement disparu: on parle anglais ici.

«Il n'y a pas de menace existentielle qui pèse sur la nation écossaise, ce n'est pas un enjeu du tout, dit le prof Kennedy. La vaste majorité des gens se définissent comme exclusivement ou avant tout Écossais et aucun politicien anglais n'aurait l'idée de prétendre que l'Écosse n'est pas une nation. Tout ça est réglé. On n'a pas peur d'être assimilé.

«Au Québec, quand le reste du Canada a rejeté l'accord constitutionnel du lac Meech, négocié par un premier ministre fédéraliste [Robert Bourassa], les Québécois ont senti qu'on leur refusait leur spécificité. On n'a pas ce problème-là.

«L'Écosse, par ailleurs, n'a pas été intégrée au Royaume-Uni par une guerre de Conquête, mais par un traité avec l'Angleterre en 1707. Le peuple a protesté, des émeutes ont eu lieu, mais c'était un accord politique volontaire entre les élites politiques.»

Les deux couronnes avaient été réunies un siècle plus tôt et le roi, écossais parfois, régnait sur l'Angleterre comme sur l'Écosse.

«C'est très différent de l'Irlande, dont on pourrait dire qu'elle a vécu sous un régime colonial anglais. En Écosse, la bourgeoisie qui possédait les chantiers maritimes, les usines de textile, bref ceux qui contrôlaient l'économie étaient des Écossais.»

«L'exploiteur» avait la même nationalité, parlait la même langue. La montée du nationalisme québécois dans les années 60, au contraire, est indissociable de la prise de contrôle de l'économie par les francophones, marginalisés jusque-là. En Écosse, il ne s'agissait pas de déloger «les Anglais».

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Mieux encore, les nationalistes écossais, du moins le Parti national écossais, n'est pas républicain: il est monarchiste. Alex Salmond, le premier ministre indépendantiste, veut que l'Écosse demeure non seulement dans l'Union européenne, mais dans le Commonwealth.

On n'a absolument rien contre la reine, qui vient passer ses étés ici depuis toujours, au château de Balmoral ou en plein coeur d'Édimbourg, au palais de Holyrood. Pressé d'intervenir dans le débat référendaire par les unionistes, d'ailleurs, Buckingham Palace a émis un communiqué cette semaine disait qu'elle refusait «catégoriquement» de soutenir le Oui ou le Non.

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Quand il s'adresse aux électeurs, Salmond ne dit pas «chers Écossais», mais «chers concitoyens», observe le prof Kennedy.

Ce n'est pas en exaltant l'identité écossaise qu'il marque des points. C'est en proposant un projet politique plus social, qui serait contrôlé d'ici.

Les Écossais ne votent pratiquement plus conservateur depuis les années Thatcher. Et ce n'est pas pour rien que le premier ministre conservateur actuel, David Cameron, choisit sa foule quand il met les pieds en Écosse. Les politiques d'austérité du Parlement de Westminster ne passent tout simplement pas.

Salmond promet plus de revenus (avec le pétrole, l'Écosse a un PIB par habitant supérieur à la moyenne du Royaume-Uni), mais surtout une meilleure distribution pour les oubliés des années de croissance.

«Au fond, qu'est-ce qui a tenu le Royaume-Uni ensemble? Les guerres: de Napoléon à la Seconde Guerre mondiale, les Écossais en ont été partie prenante; l'Empire britannique: encore là, les Écossais ont participé à fond, de l'Australie au Canada; et finalement, le Welfare State [l'État-providence] de l'après-guerre. Or, il n'y a plus de guerre de cette envergure, heureusement, l'Empire n'existe plus, et le Welfare State, qui était un grand projet britannique, est en train d'être démantelé.»

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Et vous, prof Kennedy, vous allez voter quoi?

«Ah, moi, je suis un scientifique, je ne prends pas parti!»

Eh bien moi, professeur, ce n'est pas scientifique du tout, mais ça me frappe tout de même. Au moment de décider de créer un nouvel État, tous les Oui que je croise depuis vendredi ne me parlent effectivement pas beaucoup d'enjeux «existentiels» déchirants, de survivance. Mais de taxes, d'emploi, de droits de scolarité...

Leur nation, ils l'ont. C'est un plein gouvernement qu'ils cherchent, on dirait.