On l'attend depuis le premier jour. À lui seul, il en sait plus long qu'à peu près tous les témoins mis ensemble. Du Fonds de solidarité au financement des partis politiques en passant par la collusion et toutes les lavaleries du monde.

Il a vu neiger? Il a fait neiger.

On ne sait pas encore dans quel état d'esprit Tony Accurso va s'installer dans le siège du témoin de la commission Charbonneau, ce matin.

On sait qu'il ne voulait pas y aller. On sait qu'il demandera la non-publication.

On sait aussi, ou plutôt on devine, qu'il n'est pas homme à aller jouer au clown amnésique.

Il n'a sûrement pas l'intention de s'incriminer. Il fait déjà face à des accusations de fraude et de corruption dans trois dossiers: une affaire de contrats publics à Mascouche, l'affaire de Laval et un dossier de fraude fiscale impliquant des fonctionnaires de Revenu Canada. Il n'ira donc pas s'avouer coupable, ce n'est pas le moment ni l'endroit.

Mais il voudra en finir et répondre aux questions.

Autrement dit, il n'ira pas faire la Grande Confession dont les gens de la Commission (et nous tous) auraient pu rêver. S'il avait décidé de tout déballer, il ne se serait pas rendu jusqu'en Cour suprême pour chercher un droit au silence. À moins de vouloir prouver qu'il n'avait vraiment pas le choix...

Mais rendu où il est, et sachant un peu qui il est, c'est-à-dire le plus important entrepreneur en construction au Québec, et très fier de l'être en plus, il ne peut pas non plus simplement dire «j'm'en rappelle plus».

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Si la Commission est cohérente avec ses décisions passées, elle va refuser pour l'essentiel la demande d'ordonnance de non-publication ce matin.

Les sujets à l'ordre du jour sont déjà connus, il y en a huit: ses relations avec le Fonds et la FTQ, le financement des partis politiques, ses activités dans la région de Montréal (sauf Laval et Mascouche, à cause des accusations), ses contrats avec le gouvernement du Québec, l'utilisation de son bateau de luxe, ses liens avec les gens du crime organisé, les PPP et Hydro-Québec.

On aura sans doute droit à de nouvelles conversations enregistrées. Celles qu'on connaît éclairent un peu le personnage: il a l'écoute du président de la FTQ, son ami, qu'il arrose de cadeaux. Il manoeuvre en coulisses. Il fait passer ses messages aux gens influents.

Comment se séparait-on les marchés, dans ces cartels de construction? Comment les contrats s'obtiennent-ils à Transports Québec? À Hydro-Québec? Quelle entente avait-il avec la FTQ?

L'entrepreneur Lino Zambito a dit que le parrain de la mafia arbitrait les conflits entre constructeurs à Montréal. Il a raconté une séance de négociation entre lui et Accurso où Vito Rizzuto officiait. Est-ce vrai? Pourquoi? Combien de fois cela s'est-il produit? Devait-il payer une «taxe» à la mafia, comme les autres?

Quels politiciens a-t-il aidés, directement ou indirectement? Pourquoi?

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Mine de rien, la Commission, qui a eu ses passages à vide au printemps, joue gros elle aussi avec ce témoin. Les attentes sont très élevées, probablement trop: il a beau être le roi de la construction des 20 dernières années, il ne sera pas pour autant le roi des témoins. On n'aura pas ce matin un repenti comme Zambito ou ces fonctionnaires corrompus ou ces ingénieurs qui organisaient la collusion.

Ce sera en principe le dernier témoin-vedette, et les procureurs ont une sorte d'obligation de résultat. Il faut qu'ils en sortent quelque chose d'un peu nouveau et puissant, même s'il a refusé totalement de collaborer et même s'il est encore l'objet d'enquêtes criminelles. Il ne faut pas non plus donner ouverture à une nouvelle attaque judiciaire.

Sinon, on risque d'en sortir avec une impression d'inachevé ou d'amateurisme.

On comprendrait mal que la Commission se soit battue si longtemps pour faire parler le témoin et qu'on n'apprenne rien de lui.

La suite des audiences sera beaucoup plus technique. Il est question d'une brève exploration des pratiques d'Hydro-Québec. Puis ce sera l'heure des mémoires et des recommandations.

Ce matin s'amorce donc la dernière partie de ce qu'on pourrait appeler la preuve essentielle de cette commission. Vous vous rappelez? Collusion, corruption, crime organisé, financement politique...

C'est en quelque sorte la dernière occasion de cette commission, qui a commencé avec plusieurs «bang!», de nous laisser sur une bonne dernière impression avant que le rideau tombe.