Ce n'est qu'un chandail. Mais en l'enfilant, Peter MacKay a montré un peu mieux qu'il n'a pas ce qu'il faut pour être le procureur général du Canada.

Un procureur général n'a pas le droit d'arborer le logo d'un lobby, encore moins d'un lobby qui finance des contestations judiciaires contre le gouvernement.

Dans le système politique le plus comparable au nôtre, le Royaume-Uni, un procureur général qui s'humilierait de la sorte serait forcé de démissionner.

Remarquez bien, la logique serait la même pour un procureur général qui porterait le chandail d'un lobby pour le contrôle des armes ou l'abolition de la cigarette.

Le procureur général a un rôle très particulier dans un cabinet. C'est le conseiller juridique du gouvernement, le gardien des principes juridiques et de la Constitution. On s'attend de lui qu'il agisse avec indépendance. Pourquoi? Parce que c'est l'ultime responsable du système de justice devant le Parlement. Même si le directeur fédéral des poursuites pénales est indépendant, il doit répondre au procureur général, qui peut lui donner des directives générales.

C'est également le procureur général qui choisit les candidats à la magistrature. On s'attend à ce qu'il fasse preuve d'impartialité et de hauteur de vue. Qu'il soit le moins politicien des ministres.

Pas à ce qu'il donne une accolade à des gens dont le slogan est «No compromise» et qui veulent abolir à peu près tout contrôle des armes à feu.

Le ministre Peter MacKay nous dit qu'il l'a enfilé à la va-vite pour faire plaisir à un militaire revenu blessé d'Afghanistan, pendant un événement public.

C'est plutôt et très clairement un clin d'oeil aux amis du fusil, un des piliers politiques des conservateurs.

Une des activités importantes de ce groupe de pression, l'Association canadienne des armes à feu (ACAF), consiste à recueillir des dons pour financer des contestations judiciaires.

Quel genre de contestation? Celle de Boris Vardomskiy, par exemple. Il s'agit d'un étudiant en géologie de l'Université d'Ottawa. Après avoir suivi le processus, il a acquis 11 armes à feu, dans une parfaite légalité.

Un beau jour de février 2011, cependant, il a écrit des trucs assez bizarres sur les pages de son cahier d'examen. Notamment sur «la fille en avant de [lui]» qui se comporte «comme une pute... Répugnant!». Puis: «TAP RACK BANG».

Un discours inquiétant qui n'avait pas vraiment de rapport avec les questions sur l'écotoxicologie. La correctrice a alerté le professeur, la police a été avisée, le jeune homme, interrogé et toutes ses armes saisies, même si elles étaient entreposées de manière exemplaire.

Devant ce qu'on pourrait appeler des soucis psychologiques, une juge a délivré une ordonnance d'interdiction de possession d'armes pour deux ans, estimant qu'il n'a pas présentement la discipline ou le sens des responsabilités requis.

Le jeune homme n'a aucun antécédent criminel, l'Université ne l'a d'ailleurs pas suspendu, et un psychiatre a rendu un rapport très favorable. Un autre juge a donc annulé cette ordonnance, et l'affaire est toujours devant les tribunaux.

Qu'importe le mérite de l'affaire: il est parfaitement justifiable que cet étudiant fasse valoir ses droits et l'ACAF peut bien collecter de l'argent pour payer son avocat.

Mais notre ministre de la Justice et procureur général peut-il donner l'impression qu'il soutient la cause de ces absolutistes du droit de porter des armes, qui sont en lutte contre la sécurité publique partout au Canada?

Un autre exemple? L'ACAF est en lutte contre la Gendarmerie royale du Canada, qui a saisi des centaines d'armes dans des maisons évacuées pour cause d'inondation à High River, en Alberta. Les policiers ont expliqué qu'ils voulaient éviter que des rôdeurs viennent voler ces armes.

Que les gendarmes aient raison ou non, voilà le procureur général qui s'affiche avec un groupe très hostile à l'action policière, qui «brime les droits» des propriétaires d'armes... et qui se retrouvera possiblement en cour contre le gouvernement fédéral! L'ACAF réclame d'ailleurs une commission d'enquête sur la saisie d'armes à High River.

Ce lobby, le plus important et le mieux organisé dans le domaine au Canada, n'est sûrement pas inconnu de Peter MacKay. Je ne crois pas à la thèse de l'accident de cocktail. Comme l'écrivait le collègue Joël-Denis Bellavance hier, l'homme savait ce qu'il faisait.

Ce n'est malheureusement qu'un autre exemple du mépris de sa propre fonction et de son insignifiance institutionnelle.