Une semaine après le brouhaha de l'hôtel de ville, la responsable de la Sécurité publique à Montréal nous promet des accusations criminelles et des congédiements.

Est-ce que les conseillers municipaux sont devenus procureurs et juges sans qu'on nous avertisse?

«C'est mettre de l'huile sur le feu», a déploré l'opposition.

Le feu n'a pas l'air de manquer de carburant, et je ne crois pas que le problème soit relié au pétrole...

Le problème, c'est que les pouvoirs sont censés être séparés, dans une démocratie, même municipale.

Les élus n'ont pas à dicter ou à paraître dicter les ordres aux procureurs qui décideront ou pas de déposer des accusations. Heureusement, ce sont des procureurs de la Direction des poursuites criminelles et pénales (DPCP), donc des procureurs provinciaux, et non ceux de la Cour municipale de Montréal.

N'empêche: si, après analyse, ceux-ci décident de ne pas déposer d'accusations, ou très peu, que dira-t-on? Anie Samson, responsable de la sécurité publique et vice-présidente du comité exécutif, mairesse d'arrondissement, a promis des accusations. «C'est clair qu'il va y en avoir», a-t-elle dit lundi soir au collègue Jasmin Lavoie.

Quelle déception on aura!

À l'inverse, si des accusations sont déposées en masse, les syndicats diront qu'il y a eu ingérence politique et que la pression de l'hôtel de ville a créé un climat tel que le DPCP devait déposer des accusations...

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On a créé le DPCP précisément pour montrer clairement que le politique n'intervient pas dans les décisions de poursuivre ou non une personne. Une institution équivalente existe un peu partout dans le monde anglo-saxon: un directeur des poursuites est nommé pour une période de cinq ans et ne reçoit d'ordre de personne au gouvernement. Il décide, sur la base du travail policier, s'il y a lieu d'accuser.

Le DPCP du Québec a été créé après le scandale de la prostitution juvénile à Québec, où mille rumeurs radiophoniques prétendaient que des gens n'avaient pas été accusés par favoritisme politique.

Ce serait bien si les politiciens responsables des choses de police et de justice s'en souvenaient et en revenaient aux principes élémentaires...

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Quant aux congédiements garantis, il est un peu tôt pour les annoncer... De qui parle-t-on? Pour quels gestes? Le congédiement, c'est la peine de mort en droit du travail. Il y a des règles à suivre. Il y a une gradation dans les sanctions, selon les fautes, selon le travailleur...

Cette fois, les congédiements ne sont pas décidés par un organisme dont le patron est à Québec. Ce sont les différents services de la Ville qui décideront des mesures à prendre. S'il y a des congédiements en masse, les syndicats ne manqueront pas de se servir des déclarations imprudentes de la numéro 2 du comité exécutif pour faire annuler les sanctions par les arbitres du travail.

On pourra plaider que Mme Samson a mis une pression politique excessive sur les services de la Ville pour forcer ceux-ci à infliger des sanctions trop sévères à trop de gens. Les congédiements sont toujours contestés dans ce genre de situation (et parfois annulés après la signature d'une convention collective). Mais dans le contexte, balancer ces menaces en forme de promesses est carrément irresponsable.

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Les élus sont-ils condamnés au silence? Bien sûr que non. Denis Coderre a réagi énergiquement et il a bien fait. Il avait parfaitement raison de parler d'une attaque contre la démocratie municipale. Cette manif était totalement ridicule, et pas seulement par son style. Elle disait exactement le contraire de ce que les syndicats nous répètent: elle visait à empêcher les débats, la discussion, et à faire taire les élus.

Le maire a dit qu'il porterait plainte, que des enquêtes seraient déclenchées, qu'on n'en resterait pas là, qu'on refusait l'intimidation. Parfait.

Ensuite, dans tout ce qu'on a vu, il convient de distinguer les infractions aux conventions collectives ou au droit du travail (insubordination? dommages aux biens de l'employeur?), aux règlements municipaux (sur la tenue des séances), au Code criminel (il y aurait eu du vandalisme, des menaces, de la bousculade, des coups) et... au bon goût, pour lequel (heureusement) il n'y a pas encore de punition dans la loi.

Tout ceci, l'enquête, l'analyse, les accusations, les condamnations... Ce n'est plus le travail des politiciens. Et ça ne doit jamais l'être. Ni le paraître.

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca