J'ai trouvé du pourpier au marché, Ronald. Ça prouve que la semaine n'a pas donné que des fruits amers. Je penserai à toi en préparant ma salade de cette plante craquante et un peu grasse. Je prévois une vinaigrette acidulée.

On n'aurait pas cru que notre équipe durerait si longtemps, avoue.

C'est drôle: on avait peur des Bruins; ils nous ont laissés sans une égratignure. Et qui a sorti notre gardien des séries, comme un videur sort un importun éméché d'un «établissement licencié» ?

Un Ranger.

Ça va laisser des traces, ça. En tout cas, moi, je m'en souviens.

Je peux te demander une faveur?

Je sais que tu ne fais pas étalage dans le journal de tes talents d'écuyer, ce qui est tout à ton honneur, mais si jamais tu croises Stéphane Quintal après un match de polo, j'aimerais que tu abordes la question de la sécurité des gardiens de but.

Dis à notre nouveau préfet de discipline de «penser en dehors de la boîte», Ronald, ça va stimuler son indépendance d'esprit. Tu lui dis ça nonchalamment, en cognant le talon de ta botte avec le revers du maillet, à la brunante, quand la terre fume encore des combats de l'après-midi, au moment où les palefreniers rentrent les bêtes fourbues et qu'entre gentlemen vous devisez sur l'état des choses humaines.

«Qu'en penses-tu, Stéphane... Toc... Toc...?»

Fais ça pour le sport, Ronald.

***

Il ne faudrait quand même pas charrier non plus. Même avec Price, on n'y serait pas arrivés. Toi, le défenseur entre les défenseurs, ne me dis pas qu'on est bien pourvus...

D'un autre côté, il n'est pas mauvais d'entretenir le mythe de l'invincibilité de Price, ça le rendra encore plus fort...

Ah, et puis bof.

Il n'y a plus d'intérêt à trifouiller trop longtemps dans le réservoir à excuses.

Je me suis fait provisoirement une petite «liste de choses de hockey qui me rendent joyeux», Ronald. Je te la confie en exclusivité:

1. Les succès du CH.

2. Le triomphe du beau jeu.

3. La défaite des brutes.

4. Les succès des entraîneurs québécois.

5. Les insuccès des Maple Leafs.

6. Les succès des joueurs québécois.

7. Les succès des petits joueurs.

8. L'insuccès des entraîneurs cons.

9. Les succès des joueurs universitaires.

10. Les succès des équipes canadiennes.

11. Les échecs des équipes du sud des États-Unis.

***

Ça paraît simple comme ça, mais disons qu'un entraîneur québécois a du succès avec une équipe de brutes. Ma joie en sera entamée, Ronald.

Je t'épargne les calculs différentiels nécessaires pour prouver ce que je vais te dire là, mais en somme, je suis plutôt content. Mon coefficient de joie de hockey, quoique éphémère, se porte bien.

Vigneault qui est remplacé par cette outre dégonflée de Tortorella à Vancouver, et vice-versa, Vancouver qui ne fait pas les séries, Vigneault qui emmène les Rangers en finale... Ça fait beaucoup de points dans mon calculateur de sourires inutiles.

St-Louis... Dois-je ajouter quoi que ce soit?

Et regarde ce qui reste comme équipes: trois superbes clubs de hockey.

Ça me réjouit, mais je te mentirais si je prétendais regarder ça passionnément jusqu'à la fin à partir de maintenant.

Le temps passe si vite, Ronald, allons cueillir le pourpier en sa plus verte nouveauté...

Je t'embrasse. Bon été.