Dans son lit d'hôpital, Krista DuChene me regarde avec des yeux juste un peu plus bleus que l'acier qu'on lui a vissé dimanche au bout du fémur.

«J'avais l'intention de me rendre à la ligne de départ du marathon aux Jeux de Rio, et ça n'a pas changé.»

L'athlète de 34 ans, sorte de phénomène du sport canadien, était à 500 mètres de la ligne d'arrivée, dimanche matin, au championnat canadien de demi-marathon, à l'île Notre-Dame.

Elle menait largement et roulait vers un chrono de 1 h 12 min. Et là, à la toute fin... Crac. La petite fracture de stress est devenue une vraie fêlure. Impossible de courir. Elle a sautillé péniblement jusqu'à l'arrivée. Et malgré les trois ou quatre minutes qu'il lui a fallu, seulement deux coureuses l'ont dépassée. Elle a fini troisième.

«En termes de douleur, c'est neuf sur dix. Dix, c'est un accouchement...»

La femme de Brantford, en Ontario, s'y connaît en la matière: elle a des enfants de 8, 6 et 3 ans.

Ça ne l'a pas empêchée de passer à deux minutes d'une qualification olympique en 2012 au marathon et de connaître sa meilleure saison à vie en 2013. En octobre, elle a battu le vieux record canadien du marathon de quatre secondes (2 h 28 min 32 s, obtenu par Silvia Ruegger en 1985) au marathon de Toronto. Malheureusement pour elle, Lanni Marchant, de London, était présente ce jour-là et est arrivée 32 secondes devant - Marchant qui fut 14e à Boston.

DuChene se préparait donc pour les Jeux du Commonwealth, en juillet, avec Rio 2016 dans la mire.

Elle a réalisé un record personnel au 10 km à Toronto (32 min 41 s) il y a deux semaines, et tout semblait bien aller... Malgré cet inconfort récurrent à la cuisse gauche. Ça dure depuis deux ans, mais bon, à rouler 150-180 km par semaine, normal que ça tire un peu ici et là...

«Je suis habituée à combattre la douleur. J'ai un code personnel: vert, tout est parfait; jaune, ça fait mal un peu, mais je cours quand même; rouge, je suis blessée. Au départ, dimanche matin, c'était rouge-orange... Mais j'ai décidé de courir quand même. Au 16e kilomètre, j'ai commencé à souffrir, mais j'ai poussé quand même. Et à 500 m, il n'y avait plus rien à faire. Mais je n'ai pas songé une seconde à ne pas finir!»

La banderole était là devant, les gens de chaque côté du corridor, et elle sautait péniblement, hop, aïe, hop...

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Et là, une opération plus tard?

«Je traite ça comme une grossesse. Quand tu as un enfant, tu arrêtes l'entraînement intensif pendant un an... Mais tu reviens avec une passion comme jamais!»

DuChene a commencé sur le tard la course de fond. À l'Université de Guelph, elle était dans l'équipe de hockey. Et à son premier marathon, à 22 ans, elle a fait 3h28 min. «J'ai retranché une heure!»

Non seulement ses grossesses ne lui ont pas nui, mais encore, estime-t-elle, elles l'ont aidée à progresser.

«Le volume sanguin augmente quand on est enceinte, et puis on repose son corps de l'entraînement. Chaque fois, je suis revenue plus forte. Je remarque que cette fracture arrive maintenant que mon plus jeune a trois ans. Je m'entraîne de manière intensive sans relâche depuis ce temps-là. Ce n'est peut-être pas un hasard. Une des clés de mon succès, c'est ces arrêts complets... Là, ce sera mon plus long. On doit retirer la plaque dans un an. Entre-temps, je vais faire de l'entraînement en gymnase.

«Ma première pensée, ça n'a pas été mes Olympiques. Ç'a été: comment m'occuper de mes enfants?

«Mon amie vient de se faire enlever un deuxième sein à cause du cancer. Elle m'a appelée, hier, pour me consoler. Je me suis dit que l'important, c'étaient mes proches, ma foi qui me tient. Je vise toujours Rio, mais même si je ne cours plus jamais, ce n'est peut-être pas si grave après tout...»