Militants écolos, manifestants nationalistes, immigrants illégaux et maintenant les Pussy Riot: Alexander Popkov les défend tous.

Rien de plus normal pour un avocat de la défense que de défendre des causes impopulaires, non? Non. Pas à Sotchi.

«Quand je demande à des confrères de me remplacer ou de m'aider dans une cause, je me fais toujours dire non. Ils disent qu'ils ne veulent pas avoir d'ennuis.»

Quels ennuis? «Je n'ai pas reçu de menaces, mais je sais que mes conversations sont écoutées. Quand j'arrive à une manifestation pour m'assurer que les droits seront respectés, les policiers m'attendent déjà! Nous avons tissé une relation de haine mutuelle...»

***

Popkov, 37 ans, a commencé sa carrière d'avocat au bureau du procureur de l'armée. Dégoûté de voir comment ses supérieurs se mêlaient de ses dossiers, il a claqué la porte en 2010.

«Ce n'étaient pas des affaires politiques, seulement des petits dossiers, mais ils voulaient que j'accuse les gens même quand la preuve était insuffisante: «Accuse-le, le juge va s'en occuper...» »

Alors maintenant, il défend «les victimes de la police, quelles que soient leurs idées politiques».

Les dernières sont les Pussy Riot.

***

Ce groupe punk-rock-féministe qui s'oppose à Vladimir Poutine depuis trois ans est venu faire un tour à Sotchi.

Me Popkov, impeccablement vêtu, complet et trench de laine noire, me montre l'endroit où elles ont été attaquées par des cosaques, mercredi, dans le port de la vieille ville (à 50 minutes de train du Parc olympique).

Elles n'ont été accusées de rien, mais constamment harcelées par la police. Elles marchaient dans la rue mardi quand les policiers les ont forcées à monter dans un fourgon cellulaire.

«Les policiers ont prétexté qu'il y avait eu un vol à leur hôtel et elles étaient invitées à faire une déposition. L'une d'elles s'est enfuie en disant que si c'était une invitation, elle pouvait partir. Ils l'ont embarquée.»

Me Popkov est arrivé au poste de police au milieu des cris. Le chef de police l'a fait venir dans son bureau.

«Je lui ai dit que s'il s'excusait, elles repartiraient et oublieraient l'incident. Il m'a accusé de faire un scandale parce qu'il y avait déjà 50 journalistes à la porte: les filles avaient mis ça sur Twitter... Elles ont droit au silence, mais ils ont tenté de les interroger pendant deux heures.»

Le même genre de manège s'est reproduit deux fois. Interpellation, visite au poste, Me Popkov qui arrive, aucune accusation... Elles sont reparties à Moscou.

***

N'allez pas penser que le Russe moyen appuie les Pussy Riot. Elles sont vues comme des provocatrices au mieux, des écervelées ou des agents de l'étranger au pire. Leur «prière punk» dans une église de Moscou, qui leur a valu une peine de deux ans, n'a attiré aucune sympathie.

«Quand les gens ont vu les images de ces hommes qui les agressaient, par contre, ils ont un peu changé d'idée...»

Un tout petit peu, à ce que j'entends, Me Popkov, très, très peu...

***

La semaine dernière, un de ses clients les plus connus, Evgeni Vitichko, a été condamné à trois ans de prison pour avoir endommagé la propriété du gouverneur du Kranosdar (la région où se trouve Sotchi).

«La forêt est à tous» et «Sacha est un voleur», pouvait-on lire sur la clôture qui borne le terrain de la datcha du Sacha en question. On a accusé ce membre d'Environmental Watch du Caucase du Nord, qui dénonce les travaux à Sotchi et en montagne depuis sept ans.

Le seul témoin de la poursuite était dans la forêt, à 200 mètres, et a reconnu... les dents de l'accusé.

«Dans nos cours, les accusés sont présumés coupables, par les temps qui courent, et les juges nommés par Poutine n'ont aucune indépendance. La première chose que je dis à mes clients, c'est que je n'accepte pas de pots-de-vin et que je n'en donne pas. Il y en a qui préfèrent laver l'auto des juges...»

Il continue, même si ce n'est pas très payant, si la liste de ses ennemis est infiniment plus longue que celle de ses admirateurs. Même s'il ne gagne jamais. Au moins, sa présence incite les policiers à un peu de retenue, à défaut de voir la règle de droit s'appliquer.

«Je suis plutôt du genre pessimiste. Je ne vois pas tellement de résultats concrets à ce que je fais. C'est même pire qu'avant en Russie, je trouve.

«Mais je ne peux pas accepter de vivre dans une société où la corruption est la norme. Alors je continue.»

Pour joindre notre chroniqueur yves.boisvert@lapresse.ca